Des restes humains découverts en Crimée (Ukraine) ont été datés de 32 000 ans par une équipe européenne impliquant notamment le CNRS et le département de Préhistoire du Muséum national d’Histoire naturelle (1). Il s’agit du plus ancien témoignage direct de la présence de notre espèce Homo sapiens au Sud-Est de l’Europe. Publiée sur le site de PLoS ONE, cette étude apporte de nouvelles données permettant de retracer la colonisation de l’Europe par les premiers Hommes modernes.
Découvert en 1991 dans le sud montagneux de la Crimée (Ukraine), l’abri sous roche de Buran-Kaya III a été fouillé au cours de plusieurs campagnes. L’une des couches de terrain correspondant au Paléolithique supérieur (2) a ainsi livré 162 fragments d’ossements humains aux côtés d’os d’animaux (essentiellement des antilopes saïga, des renards et des lièvres), d’outils en pierres taillées et en os (3), et d’objets de parure comme des perles en ivoire de mammouth et des coquillages perforés. Une approche pluridisciplinaire a été nécessaire pour analyser ce site, dont le matériel s’avère riche et varié.
La datation au carbone 14 d’un os humain et d’un os de cerf a établi que leurs propriétaires avaient vécu il y a 32 000 ans, ce qui fait de ce site un des plus anciens occupés par l’Homme moderne en Europe. Seuls un site roumain et un site russe s’avèrent plus vieux (34 000 ans pour le site roumain et 33 000 ans pour le russe), tandis que les sites d’Europe occidentale sont tous plus récents. Cette découverte atteste donc l’hypothèse d’une colonisation du continent d’est en ouest par les premiers Hommes anatomiquement modernes. Ces derniers se seraient répandus en Europe par les régions sud-orientales bordant la Mer Noire depuis le Moyen-Orient.
Les ossements humains mis au jour dans l’abri appartiennent à au moins cinq individus : un enfant, deux adolescents et deux adultes. On retrouve essentiellement des morceaux de crâne, des dents, une vertèbre, des fragments de côtes et de phalanges. L’absence d’os longs, comme les fémurs par exemple, d’ordinaire bien préservés, a intrigué les chercheurs. De plus, après le décès, les crânes ont été détachés du reste du corps, comme l’indiquent plusieurs traces de découpe présentes sur plusieurs os. Le traitement des restes osseux étant différent sur les hommes et les animaux, les chercheurs estiment qu’il ne s’agit pas d’un cannibalisme nutritionnel, mais plutôt d’un rituelpost mortem. Ils avancent plusieurs hypothèses dans le cadre de pratiques funéraires, soit celle d’un cannibalisme rituel, soit celle d’une désarticulation post mortem du corps afin d’en déposer une partie à un autre endroit. Il s’agit des plus anciennes traces de découpe observées sur des hommes modernes aussi anciens en Europe.
Cette étude a bénéficié du financement de l’ANR Jeunes chercheurs « Mammouths » (sous la direction de Stéphane Péan), du programme ATM « Relations Sociétés – Nature dans le long terme » du MNHN et de l’unité propre du CNRS « Dynamique de l’évolution humaine : individus, populations, espèces ».
Notes :
(1) En France, ont participé les laboratoires suivants : le laboratoire CNRS « Dynamique de l’évolution humaine : individus, populations, espèces » et l’unité « Histoire naturelle de l’Homme préhistorique » (CNRS / MNHN).
(2) Cette période de la Préhistoire est caractérisée par l’arrivée de l’Homme moderne en Europe, le développement de nouvelles techniques (lames, industrie osseuse, propulseur, etc.) et l’explosion de l’art préhistorique. Il se situe entre 35 000 et 10 000 ans avant notre ère.
(3) Ces outils datés de -32 000 ans ont été caractérisés comme appartenant à la culture gravettienne, un complexe culturel qui aurait duré environ de -31 000 à -22 000 ans. Il s’agit des plus anciennes traces de cette culture en Europe.
Références :
The Oldest Anatomically Modern Humans from Far Southeast Europe : Direct Dating, Culture and Behavior. Sandrine Prat, Stéphane C. Péan, Laurent Crépin, Dorothée G. Drucker, Simon J. Puaud, Hélène Valladas, Martina Laznickova-Galetova, Johannes van der Plicht & Alexander Yanevich. PLoS ONE, 6(6):e 20834 .
Accès libre en ligne : Consulter le site web
Source : communiqué de presse du CNRS
Laisser un commentaire