Il y 4 000 ans, les anciens Egyptiens utilisaient le plomb afin de concevoir des fards dotés de vertus médicales. Pour mieux comprendre cet usage, des chimistes du CNRS, de l’UPMC et de l’ENS Paris (1), en collaboration avec le C2RMF (2), ont tenté d’évaluer l’impact de très faibles quantités de plomb sur une cellule de la peau. Résultat : à très faibles doses, le plomb ne tue pas la cellule. Il induit la production d’une molécule, le monoxyde d’azote, connue pour activer le système immunitaire. Appliquer des fards à base de plomb peut donc déclencher un mécanisme de défense qui, en cas d’infection oculaire, limite la prolifération des bactéries. Ce phénomène explique en partie pourquoi les fards égyptiens avaient un rôle thérapeutique. Cette étude vient d’être publiée en ligne dans la revue Analytical Chemistry.
De précédentes recherches ont révélé la nature complexe des produits cosmétiques employés par les Egyptiens, il y a 4 000 ans (3). Le plus souvent à base de plomb, les fards égyptiens étaient constitués de mélanges de galène (un sulfure de plomb) noire et de substances blanches, naturelles ou bien synthétisées à partir notamment de sels de plomb. Dans leurs écrits, les médecins grecs et romains soulignent le rôle capital de ces substances pour le soin des yeux. À l’heure où le plomb est davantage connu pour sa toxicité potentielle, cet usage surprend.
Quelle fonction jouent les sels de plomb ? Pour répondre à cette question, les chercheurs se sont intéressés à la laurionite, un chlorure de plomb qui figure parmi les sels synthétisés par les anciens Egyptiens, et à son action sur une cellule isolée de la peau. La laurionite peut déclencher la présence d’ions plomb Pb2+ dans l’œil ou bien sur la peau, à des concentrations infinitésimales (sub-micromolaires). Son activité sur les cellules de l’épiderme (kératinocytes) a pu être étudiée grâce à un outil électrochimique moderne : les ultramicroélectrodes. Ce dispositif miniature s’avère remarquable pour analyser des signaux très faibles produits par une cellule unique. Après avoir déposé de très faibles quantités de solution de laurionite (4) sur le kératinocyte, les scientifiques ont observé la surproduction de quelques dizaines de milliers de molécules de monoxyde d’azote NO°. Ce radical (5) intervient comme messager du système immunitaire, jouant un rôle primordial dans la régulation de la pression sanguine. Il stimule l’arrivée des macrophages, des cellules possédant la particularité d’ingérer les bactéries, et favorise leur passage à travers la paroi des capillaires et des vaisseaux sanguins.
Conclusion : un Egyptien à l’œil maquillé de fard noir voyait son liquide lacrymal enrichi en ions Pb2+ suite à une faible dissolution du fard, ce qui devait stimuler la production de macrophages. Ceux-ci constituent un environnement redoutable pour toute bactérie qui y serait projetée accidentellement. Voilà qui expliquerait les propriétés médicales des fards conçus par les anciens Egyptiens. On comprend mieux pourquoi ces derniers les considéraient comme des émanations des yeux des dieux Horus et Ra qui les protégeaient.
Notes :
(1) Cette équipe de chercheurs est pilotée par Christian Amatore, chercheur CNRS au laboratoire « Processus d’Activation Sélective par Transfert d’Energie Uni-électronique ou Radiatif » (UPMC / CNRS / ENS Paris).
(2) Centre de recherche et de restauration des musées de France (CNRS / ministère de la Culture et de la Communication)
(3) La formulation des fards égyptiens a été décrite dans : Ph. Walter et al., Making make-up in Ancient Egypt. Nature, 397, 483-484 (1999).
(4) jusqu’à 0,2 µmol, simulant une solubilisation très faible des sels de plomb
(5) Se dit de toute molécule portant un électron célibataire.
Références :
Finding out Egyptian Gods’ secret using analytical chemistry : biomedical properties of Egyptian black makeup revealed by amperometry at single cells. Issa Tapsoda, Stéphane Arbault, Philippe Walter, Christian Amatore. Analytical Chemistry. 15 janvier 2010.
Source : CNRS
Chercheurs CNRS – Philippe Walter Christian Amatore
Presse CNRS – Priscilla Dacher
Laisser un commentaire