Il est très difficile d’avoir des informations sur le mode de vie et le comportement social des mammifères fossiles. Pourtant, des fouilles entreprises depuis plusieurs années dans les Andes centrales en Bolivie par une équipe regroupant des chercheurs du Muséum national d’Histoire naturelle, du CNRS et du Museo de Historia natural Alcide d’Orbigny de Cochabamba ont permis d’exhumer plusieurs dizaines de crânes et squelettes de petits mammifères provenant du site de Tiupampa en Bolivie. Une étude de ces restes, publiée cette semaine dans la revue Nature, met en évidence le plus ancien cas de comportement social chez les mammifères.
De nos jours, de très nombreux mammifères ont un mode de vie grégaire. Toutefois, certains, comme la plupart des marsupiaux (un groupe auquel appartiennent opossums, koalas ou kangourous…), sont strictement solitaires. En revanche, on ne sait à peu près rien du comportement social des mammifères fossiles car il est rarissime que soit conservé un nombre important d’individus pouvant attester d’une vie communautaire. Les deux seuls cas connus sont relativement récents à l’échelle géologique (15 millions d’années) et ne renseignent pas sur l’ancienneté de ce comportement.
La découverte en Bolivie d’une population de petits marsupiaux (Pucadelphys andinus) datant du Tertiaire ancien (64 millions d’années) démontre que le mode de vie grégaire est apparu très anciennement chez les mammifères et pourrait représenter un caractère ancestral.
Une préservation exceptionnelle
La très grande majorité des marsupiaux fossiles anciens sont représentés par des dents isolées ou, au mieux, par des fragments de mâchoires. Les crânes ou squelettes sont extrêmement rares et toujours isolés. Dans ce contexte, la mise au jour de plusieurs dizaines de crânes et squelettes appartenant à 35 individus de Pucadelphys andinus, parfois remarquablement complets, découverts sur quelques m2 constitue un événement majeur dans la connaissance de l’histoire des mammifères et de leur vie sociale.
Vie sociale et dimorphisme sexuel
Cette découverte apporte la preuve que, contrairement à leurs représentants actuels, les marsupiaux du début de l’ère tertiaire vivaient en groupe. L’espèce Pucadelphys andinus (de petite taille) présentait un fort dimorphisme sexuel, les mâles ayant un crâne plus grand et plus long, une crête occipitale plus développée et surtout des canines beaucoup plus grandes que celles des femelles.
Parmi les 22 squelettes et crânes les mieux conservés, les scientifiques ont pu dénombrer 6 mâles, 12 femelles et 4 sub-adultes (pour lesquels le sexe n’est pas décelable). L’association d’un aussi grand nombre d’individus sur quelques m2 ainsi que ce dimorphisme sexuel marqué sont une indication de mœurs grégaires, de compétition entre mâles et de polygynie (un mâle fécondant plusieurs femelles). De plus, le probable climat tropical qui était celui de la Bolivie il y a 64 millions d’années semblerait indiquer que la reproduction de Pucadelphys andinus n’était pas saisonnière comme cela est le cas pour les faunes des régions tempérées ou froides.
Ces marsupiaux vivaient sur les rives d’un grand fleuve tropical et ont sans doute été surpris par une crue soudaine. Leurs cadavres se sont fossilisés sur place car les restes découverts sont trop bien conservés pour avoir été transportés. Ces 35 individus ont donc vécu et sont morts ensemble.
Les fossiles boliviens nous fournissent le plus ancien cas connu de comportement social chez les mammifères et permettent de lever une partie du voile sur leur mode de vie au tout début de l’ère tertiaire aussi appelée « l’ère des mammifères ».
Références :
Sandrine Ladevèze, Christian de Muizon, Robin M. D. Beck, Damien Germain and Ricardo Cespedes-Paz. Earliest evidence of mammalian social behaviour in the basal Tertiary of Bolivia. DOI: 10.1038/nature09987, Nature, 8 mai 2011
Source : communiqué de presse du CNRS
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