Une équipe franco-américaine de chercheurs, coordonnée par Isabelle Kruta, doctorante au Muséum national d’Histoire naturelle (Centre de Recherche sur la paléobiodiversité et paléoenvironnements – MNHN/CNRS/UPMC), a réalisé à l’ESRF (European Synchrotron Radiation Facility, Grenoble) des scans d’une qualité exceptionnelle de fossiles de Baculites, ammonites « déroulées » disparues à la fin du Crétacé, il y a 65,5 millions d’années. Les résultats de ces recherches ont permis de découvrir que l’un de plus grands groupes d’ammonites (auquel appartiennent les Baculites) avait des mâchoires et une radula (sorte de langue couverte de dents) adaptées pour manger de petites proies présentes dans la colonne d’eau, comme le plancton. Cette découverte, qui a permis aux scientifiques d’élucider la place des ammonites dans la chaîne alimentaire, pourrait également apporter un nouvel éclairage sur la raison de leur disparition. Les résultats sont publiés cette semaine dans la revue Science.
Les ammonites sont de proches parents disparus du calmar, de la seiche et du poulpe. Elles font partie des fossiles les plus connus au monde. Apparues il y a environ 400 millions d’années (au début du Dévonien), les ammonites ont connu une explosion de leur diversité il y a 200 millions d’année (au début du Jurassique). À cette époque, elles étaient devenues une partie si abondante et diversifiée au sein de la faune marine qu’elles sont aujourd’hui utilisées par les paléontologues comme marqueur fossile pour déterminer l’âge relatif des roches marines du Mésozoïque (-251 à -65 millions d’années) dans lesquelles elles se trouvent.
Dans cette étude, les chercheurs ont utilisé la technique de microtomographie à rayonnement synchrotron pour vérifier la présence de mâchoires et de radulas chez trois fossiles trouvés aux Etats-Unis dans le Dakota du Sud (lors d’expéditions menées par l’AMNH dans les Grandes Plaines) et procéder ensuite à leur reconstruction en 3D. Les scans obtenus sont d’une telle qualité que les mâchoires et les dents des radulas ont pu être intégralement révélées.
« Grâce à cette découverte, nous avons pu observer pour la première fois la délicatesse de ces structures exceptionnellement bien préservées et nous avons mis à profit dans la grande qualité des détails pour comprendre l’écologie de ces animaux énigmatiques. » Isabelle Kruta (MNHN).
« La microtomographie à rayonnement synchrotron est à ce jour la technique qui présente le plus haut degré de sensibilité pour étudier les structures internes des fossiles sans les détruire. » indique Paul Tafforeau (ESRF) « Nous avons procédé à un premier test sur l’un des spécimens d’ammonite après l’échec d’une tentative avec un scanner classique. Les résultats étaient si impressionnants que nous avons scanné tous les autres échantillons disponibles et découvert presque à chaque fois une radula et, pour l’un d’entre eux, de nombreuses autres structures. »
Par ailleurs, un des spécimens avait dans la bouche un petit gastéropode et trois petits crustacés (l’un d’eux ayant été coupé en deux). Ces fossiles planctoniques ne se trouvant nulle part ailleurs dans l’échantillon, les scientifiques pensent qu’il s’agit du dernier repas de l’animal. et qu’il n’a pas été la proie de ces organismes après sa mort. Jusqu’à une période récente, les chercheurs ignoraient quel rôle jouaient les ammonites dans la chaîne alimentaire, malgré quelques indices fournis par Neil Landman (AMNH) et son équipe sur la forme de la mâchoire et par l’article rédigé en 1992 par des scientifiques russes qui avaient reconstitué certaines structures internes de fossiles.
« La présence de plancton dans les mâchoires des Baculites est la première preuve directe du mode d’alimentation de ces ammonites déroulées. Ceci permet de mieux comprendre leur succès au Crétacé. » note Fabrizio Cecca (UPMC).
« Nos recherches suggèrent plusieurs choses. Tout d’abord, que la radiation des ammonites aptychophorans pourrait être associée à celle du plancton pendant le Jurassique inférieur », indique Neil Landman (AMNH). « En outre, le plancton a été très atteint au tournant Crétacé-Tertiaire, et la disparition de leurs ressources alimentaires a probablement contribué à l’extinction des ammonites. »
Isabelle Rouget (UPMC) acquiesce : « Nous nous rendons compte à présent que les ammonites ont occupé dans la chaîne alimentaire une place bien différente de celle que nous pensions être la leur jusqu’alors. »
Ces nouveaux scans de Baculites confirment également les résultats de recherches plus anciens qui montraient que les dents radulaires des ammonites comportaient de multiples cuspides. Les scientifiques peuvent aujourd’hui observer la radula dans ses moindres détails : la cuspide la plus grande mesure 2 mm et les dents, très fines, ont des formes variées (en forme de sabre ou de peigne). La mâchoire inférieure est plus grande que la mâchoire supérieure, et est composée de deux moitiés séparées par une fente médiane, ce qui est propre à ce groupe d’ammonites (les aptychophora).
Ces recherches ont été réalisées avec le soutien du Muséum national d’Histoire naturelle (MNHN, Paris, France), du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS, France), de l’Université Pierre et Marie Curie (UPMC, Paris, France), de l’American Museum of Natural History (AMNH, New York, USA) et de l’European Synchrotron Radiation Facility (ESRF, Grenoble, France).
Source: Claus Habfast – European Synchrotron Radiation Facility
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