La saison de forage sur le site de NEEM, situé sur la portion nord-ouest de la calotte de glace
Groenlandaise vient de toucher au but : le socle rocheux a été atteint ce mardi 27 juillet, à la
profondeur de 2537,36 m. La carotte de glace obtenue jusqu’à cette grande profondeur
contient de précieuses informations sur la précédente période interglaciaire (appelée Eémien),
lorsque le climat était plus chaud qu’aujourd’hui et le niveau des mers plus élevé d’environ 5
mètres. Dans les 2 derniers mètres du forage, elle comprend également des particules issues
du socle, dont une pierre de dimension centimétrique. La moisson scientifique issue de cette
opération extraordinaire ne fait que commencer.
Le projet NEEM, porté par les Danois de l’Université de Copenhague1, constitue un ambitieux
programme scientifique impliquant 14 nations2 dont la France. Son objectif scientifique essentiel,
désormais atteint, consistait à forer jusqu’au socle rocheux sous le glacier et à extraire des dernières
centaines de mètres de glace un enregistrement climatique fiable de la précédente période
interglaciaire (appelé l’Eémien en Europe), datant entre moins 120.000 et moins 130.000 ans.
Selon les données parcellaires déjà disponibles en Arctique, cette période chaude était caractérisée
par une température moyenne au Groenland environ 5°C supérieure à la température actuelle. Les
données issues de cette période constitueront donc un indicateur essentiel de ce que pourrait être le
climat de cette région du globe au cours des prochaines décennies à siècles, en fonction des rejets de
gaz à effet de serre par les activités humaines. Surtout, elles permettront de mieux estimer l’étendue
de la calotte de glace du Groenland à cette époque, et donc de mieux contraindre l’évolution future
possible du niveau des mers. Rappelons que si la calotte groenlandaise venait à fondre entièrement,
le niveau des mers augmenterait d’environ 7 mètres.
A partir de 2200 mètres de profondeur, le forage a permis de remonter en surface la glace datant de
l’Eémien, mais aussi de la glace plus ancienne datant de la précédente glaciation. Les 2 derniers
mètres du forage contiennent de nombreuses particules (et même une pierre de dimension
centimétrique) issues du socle rocheux et recouvertes par la glace depuis des centaines de milliers
d’années. Il est fort probable que cette glace contienne de l’ADN et des pollens issus de plantes qui
avaient colonisé le Groenland bien avant son englacement il y a environ 3 millions d’années.
Après deux années de mise en place, plus de 300 scientifiques issus de 14 nations (dont de
nombreux jeunes doctorants et post-doctorants) ont participé à cette opération unique de forage au
cours de trois étés successifs, dans un camp isolé situé à 650 km du plus proche lieu de vie, et à
2500 m d’altitude par 78° de latitude nord. Outre les opérations de forage conduites avec succès par
plusieurs ingénieurs dont ceux de l’INSU/C2FN3 en France, le site de NEEM a vu le déploiement le
plus extraordinaire d’instrumentations scientifiques jamais constitué lors d’une opération de forage
glaciologique : dans une tranchée scientifique enfouie dans la neige plusieurs mètres sous la surface, plusieurs dizaines de scientifiques se sont succédés durant trois mois pour extraire « en
temps réel » de très nombreuses données sur cette carotte de glace. Grâce à des détecteurs laser de
dernière génération, dont ceux développés et mis au point par le LSP4 et le LGGE5 de Grenoble, la
composition isotopique de la glace (donnant accès au signal climatique) et la concentration
atmosphérique de méthane (un gaz à effet de serre) ont été mesurées pour la première fois en
continu sur la glace du forage, pour celle couvrant la période de moins 8000 à moins 110.000 ans.
D’autres instruments ont permis de documenter l’évolution de la structure cristalline de la glace
(taille, forme et orientation des cristaux) nécessaire pour comprendre l’écoulement du glacier,
d’autres ont mesuré le contenu en impuretés chimiques (aérosols désertiques, aérosols d’origine
marine ou continentale). Enfin, les propriétés électriques de la glace (informant sur l’histoire des
éruptions volcaniques majeures) ont pu aussi être documentées en continu.
La portion des carottes non analysées sur le terrain est maintenant en cours de rapatriement par
transport frigorifique vers Copenhague. Elle sera ensuite distribuée cette automne à chaque nation
impliquée, en vue d’analyses supplémentaires. Les laboratoires français LSCE6 et LGGE apportent
leurs compétences sur une large gamme de ces mesures (isotopes, gaz à effet de serre, poussières
insolubles, propriétés physiques,…). Le service technique du LGGE, composante « glaciologie » de
l’INSU/C2FN, a aussi contribué à la construction du carottier ayant permis d’atteindre le socle
rocheux au terme de ces trois campagnes de forage. Enfin, les Français ont été des acteurs
importants sur le terrain encore cette année, avec la participation de trois foreurs et de trois
scientifiques.
Outre le soutien technique dans le cadre de l’INSU/C2FN, le projet NEEM bénéficie en France du
soutien de l’Agence Nationale de la Recherche7 ainsi que de l’Institut Polaire français Paul-Emile
Victor8.
Notes:
1 Responsable du projet : Dorthe Dahl Jensen, Professeur au Niels Bohr Institute de l’Université de Copenhague
2 Danemark, USA, Allemagne, France, Belgique, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suisse, Suède, Islande, Canada, Japon,
Corée du Sud, Chine
3 Institut National des Sciences de l’Univers – Centre de Carottage et de Forage National
(http://c2fn.dt.insu.cnrs.fr/spip/)
4 Laboratoire de Spectrométrie Physique, unité mixte de recherche CNRS – Université Joseph Fourier – Grenoble I
(http://www-lsp.ujf-grenoble.fr/)
5 Laboratoire de Glaciologie et Géophysique de l’Environnement, appartenant à l’Observatoire des Sciences de
l’Univers de Grenoble (OSUG), unité mixte de recherche CNRS – Université Joseph Fourier – Grenoble I
6 Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement, appartenant à l’Institut Pierre Simon Laplace, unité mixte
de recherche CEA-CNRS-Université de Versailles St Quentin. http://www.lsce.ipsl.fr/
7 http://www.agence-nationale-recherche.fr/
8 http://www.institut-polaire.fr/
Pour plus d’informations :
• la progression du forage au jour le jour sur le site du « journal de bord » de NEEM (en
anglais) : http://www.neem.ku.dk
• le site du projet français associé :
http://www.lsce.ipsl.fr/Phocea/Vie_des_labos/Ast/ast_visu.php?id_ast=102
Source: communiqué de presse du CNRS
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