Des archéologues du CNRS (1) viennent d’apporter la preuve que les gisements de sel de Duzdagi situés dans la vallée de l’Araxe, en Azerbaïdjan, étaient exploités dès la deuxième moitié du 5ème millénaire avant notre ère. Il s’agit donc de la plus ancienne exploitation de sel gemme attestée à ce jour. Et, à la surprise des chercheurs, cette mine a connu une production de sel intensive au moins dès 3 500 avant notre ère. Menés avec le soutien de l’Académie des sciences d’Azerbaïdjan, ces travaux devraient permettre de mieux comprendre comment se sont organisées les premières civilisations complexes qui ont émergé entre -4 500 et -3 500 dans le Caucase. Ils sont publiés le 1er décembre 2010 dans la revue TÜBA-AR.
L’importance économique et symbolique du sel dans le monde antique et médiéval est bien connue. Des découvertes récentes montrent que le sel occupait aussi très certainement une place prépondérante dans les sociétés protohistoriques, c’est-à-dire antérieures à l’apparition de l’écriture. Comment obtient-on du sel ? Les deux techniques les plus répandues reposent sur l’extraction du sel gemme, c’est-à-dire un dépôt sédimentaire contenant une grosse concentration de sel comestible (2), et la récolte du sel solaire asséché dans les marais salants par exemple. Connaître les techniques d’exploitation anciennes des matières premières, comme le sel, l’obsidienne (3) ou le cuivre, permet aux archéologues d’en déduire des informations essentielles sur les besoins et le niveau de complexité des sociétés du passé. Dans le Caucase, les premières traces d’exploitation intensive du sel gemme apparaissent précisément au moment où ces sociétés protohistoriques connaissent de profondes mutations à la fois économiques et technologiques, notamment en relation avec le développement de la première métallurgie du cuivre.
Pour comprendre ces interactions, Catherine Marro, chargée de recherche au CNRS, et son équipe explorent depuis une dizaine d’années le bassin de l’Araxe (Turquie, Iran, Azerbaïdjan). Les archéologues se sont notamment intéressés à la mine de sel Duzdagi (4) située en Azerbaïdjan, plus précisément en bordure de l’ancienne route de la soie médiévale menant de Tabriz (au nord-ouest de l’Iran) à Constantinople. Jusqu’à présent, les plus anciennes traces d’exploitation de ce gisement toujours en activité remontaient au 2ème millénaire avant notre ère. Cette datation reposait sur la découverte fortuite, dans les années 70, d’une ancienne galerie effondrée contenant les ossements de quatre individus ensevelis avec leurs outils.
En 2008, une équipe franco-azerbaïdjanaise dirigée par Catherine Marro et son collègue Veli Bakhshaliyev a initié une prospection systématique de la mine de Duzdagi. Elle a alors recensé un grand nombre de vestiges (outils, céramiques…), dont les plus anciens datent de 4 500 avant notre ère. C’est la première fois que des restes de cette époque sont découverts en si grand nombre sur une mine de sel. Les chercheurs ont ainsi mis en évidence l’ancienneté de cette exploitation, qui remonte au moins à la deuxième moitié du 5ème millénaire avant notre ère : Duzdagi est ainsi la plus ancienne exploitation de sel gemme connue à ce jour (5).
Autre fait remarquable, Duzdagi a connu une exploitation intensive dès le 4ème millénaire avant notre ère, comme le suggère l’abondance des vestiges datés du Bronze Ancien. Des centaines de pics et de marteaux en pierre ont en effet été dénombrés à proximité d’entrées de galeries effondrées. La datation de ces vestiges est assurée par la présence récurrente aux alentours de tessons de céramique propres à la culture dite « Kuro-Araxe ». Leur distribution spatiale et chronologique a été analysée par un système d’information géographique, associant des photos satellites (Spot 5), des photographies prises au cerf-volant et l’enregistrement des artefacts par DGPS, sorte de GPS amélioré. Cette extraction intensive suggère que le sel de Duzdagi n’était pas réservé à l’usage local de petites communautés vivant en autarcie. Il était sans doute distribué, dans un cadre économique qui reste pour l’instant inconnu, vers des destinations plus lointaines. Enfin, il apparaît que ce sel n’était pas accessible à toutes les communautés de la vallée de l’Araxe. Son exploitation semble avoir été la prérogative de certains groupes dominants dès le 5ème millénaire avant notre ère.
Ces travaux suscitent beaucoup d’interrogations : à qui et à quoi était destiné le sel aux 5ème et 4ème millénaires avant notre ère ; comment étaient organisées les communautés qui exploitaient ces gisements ; quels étaient les liens politiques et économiques entre les différentes sites régionaux (villages, ateliers, mines) ; etc… Pour trouver des éléments de réponses, les archéologues espèrent fouiller prochainement les galeries effondrées de ce gisement qui occupe plus de 6 km2.
Les prospections réalisées sur ce site en 2008 et 2009 ont bénéficié notamment des financements du ministère français des Affaires étrangères et du CNRS, ainsi que du soutien du CNES à travers le programme ISIS. Elles ont été menées avec l’appui de l’Académie des sciences d’Azerbaïdjan.
Notes :
(1) Laboratoire « ARCHEORIENT – Environnements et sociétés de l’Orient ancien » (CNRS/Université Lumière Lyon 2). C’est l’une des unités constituant la Maison de l’Orient et de la Méditerranée Jean Pouilloux.
(2) Ce sel comestible provient de gisements de sel constitués par évaporation ancienne de lacs ou de mers intérieures
(3) Roche volcanique vitreuse.
(4) Duzdagi signifie « montagne de sel » en turc azéri.
(5) La mine de sel située à Cardona en Catalogne pourrait également avoir été exploitée dès cette époque, mais les preuves permettant d’étayer cette hypothèse demeurent pour l’instant indirectes.
Références :
Archaeological investigations on the salt mine of Duzdagi (Nakhchivan, Azerbaïdjan). C. Marro, V. Bakhshaliyev and S. Sanz. TÜBA-AR. Vol 13, 2010
Source: communiqué de presse du CNRS
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