Des chercheurs de l’Université de Zurich viennent de publier un modèle 3D animé, basé sur de nouveaux fossiles de conodontes scannés au synchrotron de Grenoble, qui rend compte de la manière dont ces animaux marins mangeaient: Leur langue dentée était actionnée par un système similaire à une poulie, que ces chercheurs montrent être en fait le mécanisme primitif commun aux premiers vertébrés.
L’apparition des mâchoires au cours de l’évolution reste une énigme. Pour la résoudre, les chercheurs s’intéressent en particulier aux animaux, anciens ou récents, qui s’apparentent le plus aux gnathostomes (vertébrés à mâchoires) mais qui n’ont pas de mâchoire. Parmi les formes fossiles on trouve les conodontes, des animaux marins en forme d’anguille qui se sont éteints à la fin du Trias, il y a environ 200 millions d’années. Leur classification au sein des vertébrés est encore sujette à controverse mais les conodontes se situeraient à une position intermédiaire entre les cyclostomes (dont les lamproies et myxines actuelles) et les ostracodermes (des formes de poissons primitives). Une équipe menée par le paléontologue Nicolas Goudemand de l’Université de Zurich, a publié dans la revue américaine PNAS des travaux qui permettent de mieux comprendre comment ces animaux énigmatiques se nourrissaient.
Des nouveaux microfossiles scannés par microtomographie synchrotron
Le professeur Hugo Bucher de l’Université de Zurich travaille depuis plusieurs années avec ses étudiants dans la province chinoise du Guangxi pour essayer de comprendre les mécanismes qui menèrent il y a environ 250 millions d’années, à l’extinction de plus de 90% des organismes vivant dans les océans – la crise la plus sévère que notre planète ait connue. Leurs efforts se concentrent en particulier sur la période du Trias inférieur, qui fait suite à la crise principale et qui voit la vie renaître de ses cendres. Certains groupes d’animaux comme les conodontes connaissent alors un renouveau extraordinaire. Dans ces roches, de nouveaux fossiles de conodontes ont été découverts, qui préservent encore partiellement l’organisation spatiale des ‘dents’ si singulières des conodontes. Ces fossiles submillimétriques très fragiles ont pu être analysés grâce à la qualité des faisceaux à rayons X du European Synchrotron Radiation Facility (ESRF, Grenoble) et ils ont livré des informations qui ont permis de reconstruire la bouche des conodontes et la manière dont ces ‘dents’ étaient utilisées pour manger.
Une langue et des lèvres dentées
Sur la base de ces nouveaux fossiles et d’autres fossiles articulés préservant des configurations inhabituelles, Nicolas Goudemand et ses collègues ont développé un modèle 3D animé qui montre que les conodontes avaient deux lèvres supérieures portant chacune une grande ‘dent’, et une sorte de langue ornée d’un ensemble complexe de ‘dents’ pointues ou en forme de peigne. Cette ‘langue’ reposait sur un support cartilagineux et des muscles antagonistes permettaient de la déplacer d’avant en arrière (et vice versa) selon le principe d’une poulie. Pour attraper leur nourriture les conodontes utilisaient leur ‘langue’ et leurs lèvres. Deux paires de ‘dents’ plus robustes, parfois similaires à des molaires, et placées au fond de la gorge, à l’entrée du pharynx, permettaient ensuite de découper ou de mâcher la nourriture.
Implications pour les premiers vertébrés
Cette façon si singulière de manger des conodontes est en fait très semblable à celle des lamproies actuelles. Cette découverte permet donc de confirmer que les conodontes sont très probablement des vertébrés primitifs proches des lamproies. Elle implique aussi que l’ancêtre commun aux conodontes et aux lamproies, et donc un des premiers vertébrés devait posséder lui aussi un cartilage dit ‘lingual’ et un système de poulie et qu’il mangeait probablement de la même manière que les conodontes.
Source : Dr. Nicolas Goudemand – University of Zurich
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