Scanner à travers les habits dans les aéroports, détecter des explosifs ou des poudres biochimiques dangereuses dans un paquet, ausculter le cœur des matériaux, identifier des cancers invisibles: les ondes térahertz (THz), enfin domestiquées par les scientifiques, et inoffensives, se retrouveront bientôt dans diverses applications.
Voir à travers les habits (comme dans les scanners corporels pour aéroport qui font débat) ou les murs, le plastique, le carton; lutter contre le bioterrorisme; repérer des cancers invisibles; examiner les œuvres d’art ou percer les secrets du ciel: les rayons T, pour l’heure encore largement confinés aux laboratoires, sont promis à moult applications.
«Dans le monde des ondes électromagnétiques, presque toutes les «espèces» (lumière visible, micro-ondes, infrarouges, rayons X, etc.) ont été exploitées pour réaliser des images d’objets inanimés ou vivants, explique Patrick Mounaix, chargé de recherche CNRS en physique à l’Université de Bordeaux. Or une espèce résistait encore aux ingénieurs: les ondes térahertz (THz), ou rayons T.»
Dans le spectre, ces ondes se trouvent entre l’infrarouge de la télécommande TV et les micro-ondes du four. Leur domaine englobe des fréquences comprises entre 0,1 et 30 térahertz (donc 100 à 30 000 milliards de hertz, ou oscillations par seconde). Connues depuis des décennies, elles sont restées longtemps difficiles à générer à dessein, qui plus est à capter. Pourtant, leurs propriétés s’avèrent intéressantes: elles possèdent comme les micro-ondes un fort pouvoir pénétrant. Et, comme la lumière visible, elles se laissent focaliser, pouvant révéler des détails fins, de l’ordre du millimètre voire moins. Surtout, à l’inverse des rayons X, qui ionisent la matière et sont donc délétères à hautes doses, ces rayons T, 10 000 fois moins énergisants, semblent être inoffensifs.
«La révolution [dans le développement des émetteurs térahertz] est arrivée dans les années 1980, avec l’apparition du laser femtoseconde», poursuit Patrick Mounaix. En bref, des impulsions laser extrêmement brèves (un millionième de milliardième de seconde) sont dirigées vers un matériau semi-conducteur mis sous-tension. En réaction, les électrons ainsi excités de ce dernier émettent des ondes térahertz.
Mieux: découvert en 1994 par une équipe des Laboratoires Bell (Etats-Unis), dont faisait partie le Suisse Jérôme Faist, professeur à l’EPF de Zurich, le laser à cascade quantique permet même de se passer du circuit semi-conducteur, puisqu’il émet lui-même des ondes THz, «qui sont 100 fois plus puissantes», dit ce dernier.
Ces rayons T enfin domestiqués, les idées d’utilisation ont fleuri. L’une concerne la sécurité. Vu que les rayons T sont bloqués par le métal ainsi que les molécules d’eau, présentes en abondance dans le corps, ils permettent de voir à travers les habits, et de détecter toute arme dissimulée. Mais aussi toute substance chimique autre que la chair, comme des explosifs ou des drogues. Depuis 2001, la société anglaise TeraView se dit pionnière dans les scanners térahertz qui équiperont les aéroports dans le futur – les instruments actuels fonctionnent encore avec des fréquences d’ondes inférieures (gigahertz). Et sa concurrente Thruvision se vante déjà d’avoir mis au point un appareil qui capte les térahertz à distance, jusqu’à 25 m, sur des personnes en mouvement.
En médecine, les oncologues espèrent utiliser les rayons T pour traquer des formes de mélanomes de la peau invisibles à l’œil nu: comme les cellules cancéreuses sont plus vascularisées, contenant ainsi davantage d’eau, elles apparaissent différemment. Chez les dentistes, l’idée est de détecter des caries naissantes sous l’émail. Dans le domaine pharmaceutique, les rayons T pourraient être utiles, pour vérifier la qualité interne des médicaments solides et autres gélules. Une technique invasive qui s’applique pareillement à toutes les sciences des matériaux: les ingénieurs sont par exemple intéressés à quantifier les bulles d’air prisonnières au sein d’un mur en béton.
Sensibles aux substances chimiques, les ondes THz serviront aussi à traquer les agents biologiques dangereux, tel le bacille de l’anthrax. «La poste japonaise dispose déjà d’un scanner THz. Mais l’appareil est complexe et cher», relève Patrick Mounais, aussi expert de l’OTAN pour les projets utilisant des térahertz dans les problématiques de sécurité.
Car si les possibilités d’application sont légion, des entraves persistent. «La technologie n’est pas totalement mûre, dit le physicien. Les instruments fonctionnant avec des THz doivent encore satisfaire à des critères de coûts, et d’intégrabilité», autrement dit être facilement utilisables. Or «il faut encore refroidir à basse température (–100°C) les lasers à cascade quantique, ce qui n’est pas commode», admet Jérôme Faist.
Les choses commencent pourtant à changer, les appareils gagnant en compacité. «Nous avons fabriqué l’un des premiers spectromètres THz portables, gros comme une boîte à chaussures, pour scanner les matériaux. Il fonctionne grâce à à des cristaux inorganiques uniques au monde que nous avons développés», annonce Peter Günter, professeur émérite à l’EPFZ, impliqué dans la spin-off Rainbow Photonics, qui cherche des investisseurs.
Pour Patrick Mounaix, c’est peut-être là le plus gros frein actuel: «Il manque encore une application clé, usant spécifiquement des ondes THz. Si bien que toutes les idées sont évaluées à l’aune des autres technologies existantes. De plus, les scientifiques ont encore peu communiqué sur les possibilités des térahertz, et les industriels connaissent mal, voire pas du tout, ce domaine.» Mais le physicien n’en doute pas: «La maturité de la technologie THz permet déjà de réaliser des démonstrations pour des besoins très ciblés.» Reste à la «vendre» et à la démocratiser.
Source : Le Temps.ch
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