Un dispositif mécanique qui obéit aux lois quantiques en tête de la liste des avancées scientifiques de l’année retenues par la revue
Jusqu’à cette année, tous les objets faits par l’homme s’étaient déplacés selon les lois de la mécanique classique. En mars, toutefois, un groupe de chercheurs a mis au point un appareil qui bouge d’une manière qui ne peut être décrite que par la mécanique quantique, c’est-à-dire l’ensemble de règles qui gouvernent le comportement des objets minuscules comme les molécules, les atomes et les particules subatomiques. Reconnaissant la percée conceptuelle, l’inventivité et les nombreuses applications potentielles de ces expériences, Science désigne la découverte comme l’avancée scientifique la plus significative de l’année 2010.
Les physiciens Andrew Cleland et John Martinis de l’Université de Californie à Santa Barbara et leurs collègues ont mis au point cet appareil, une minuscule palette métallique de semi-conducteur, visible à l’œil nu qu’ils ont contraint à se déplacer dans un sillon quantique. Ils ont d’abord refroidi la palette jusqu’à ce qu’elle atteigne son « état fondamental » ou le plus bas état d’énergie permis par les lois de la mécanique quantique, objectif de longue date des physiciens. Puis ils ont élevé l’énergie de l’appareil d’un seul quantum pour produire un mouvement de pure mécanique quantique. Ils ont même réussi à mettre l’appareil dans deux états à la fois de sorte qu’il vibrait un peu et beaucoup en même temps, phénomène bizarre uniquement permis par les curieuses lois de la mécanique quantique.
La revue Science et son éditeur, l’AAAS, la société scientifique à but non lucratif, ont reconnu dans cette première machine quantique la Percée scientifique de l’année 2010. Ils ont aussi sélectionné neuf autres avancées scientifiques importantes de l’année écoulée qui sont présentées dans une rubrique spéciale du numéro du 17 décembre de Science. De plus, les rédacteurs des actualités de Science ont décidé de mettre en exergue 10 « Insights of the Decade » qui ont transformé le paysage scientifique au XXIe siècle.
« La « Percée de l’année correspond à la première démonstration par des scientifiques d’un effet quantique sur le mouvement d’un objet fait par l’homme » indique Adrian Cho, rédacteur d’actualités à Science. « C’est très bien du point de vue conceptuel car cela engage la mécanique quantique dans un domaine entièrement nouveau. D’un point de vue pratique, cela ouvre toute une gamme de possibilités allant de la possibilité de nouvelles expériences qui introduiront un contrôle quantique sur la lumière, le courant électrique et le mouvement, à peut-être un jour l’explication des liens de la mécanique quantique et de notre sens de la réalité. »
La machine quantique prouve que les principes de la mécanique quantique peuvent s’appliquer tout autant au mouvement des objets macroscopiques qu’aux atomes et aux particules subatomiques. Elle est un premier pas vers la maîtrise complète des vibrations d’un objet au niveau quantique. Un tel contrôle sur un dispositif artificiel devrait permettre aux scientifiques de manipuler de minuscules déplacements comme ils savent déjà le faire pour des courants électriques ou des particules de lumière. Cette capacité pourrait à son tour mener à de nouveaux appareils contrôlant les états quantiques de la lumière, à des détecteurs de force ultrasensibles, et aboutir à des recherches sur les liaisons en mécanique quantique et sur notre sens de la réalité. Ce dernier but pourrait être atteint en essayant de placer un objet macroscopique dans un état où il se trouve littéralement à deux endroits à la fois, une expérience qui pourrait révéler pourquoi quelque chose d’aussi gros qu’un être humain ne peut être à deux endroits à la fois.
« Figurez-vous que les physiciens n’ont pas encore réussi à obtenir l’existence à deux endroits différents d’un objet minuscule comme celui-là » précise Cho. « Mais maintenant qu’ils ont atteint l’état le plus simple du mouvement quantique, cela semble beaucoup plus à leur portée, et la question qui se pose maintenant est plutôt « quand » que « si » ».
Les neuf autres percées fondamentales relevées par Science en 2010 sont les suivantes.
Biologie synthétique : dans une étape marquante de la biologie et des biotechnologies, des chercheurs ont fabriqué un génome synthétique qu’ils ont pu utiliser pour transformer l’identité d’une bactérie. Le génome a remplacé l’ADN de la bactérie et celle-ci a alors produit un nouvel ensemble de protéines, résultat qui a motivé une audition au Congrès au sujet de la biologie synthétique. Dans le futur, les chercheurs envisagent des génomes synthétiques faits sur mesure pour produire des biocarburants, des médicaments, ou d’autres produits chimiques utiles.
Le génome de l’homme de Néandertal : des chercheurs ont séquencé ce génome à partir des os de trois femmes de Néandertal qui ont vécu en Croatie il y a entre 38 000 et 44 000 ans. De nouvelles méthodes de séquençage de fragments dégradés d’ADN ont permis aux scientifiques de faire une première comparaison entre le génome de l’homme moderne et celui de Néandertal.
La prophylaxie contre le VIH : deux essais préventifs contre le VIH de nouvelles stratégies se sont conclus par des succès sans équivoque. Un gel vaginal contenant l’antirétroviral ténofovir a réduit de 39 pour cent les infections chez des femmes, et une prophylaxie orale avant exposition a fait chuter de 43,8 pour cent les infections par le VIH dans un groupe d’hommes ou de femmes transgenres qui avaient eux des rapports sexuels avec des hommes.
Le séquençage d’exome et la détermination des gènes de maladies rares : en ne séquençant que les exons d’un génome, c’est-à-dire la très faible fraction de l’ADN qui code pour des protéines, les chercheurs qui étudient les maladies rares héritables dues à la défaillance d’un seul gène ont réussi à identifier les mutations spécifiques à l’origine d’au moins une douzaine de protéines.
Les simulations de la dynamique moléculaire : simuler les tours que font les protéines lorsqu’elles se replient était un cauchemar de combinaisons possibles. Des chercheurs ont maintenant pu utiliser les ressources de l’un des ordinateurs les plus puissants au monde pour suivre le mouvement des atomes dans une petite protéine qui se replie sur une durée 100 fois supérieure à ce qui avait été fait auparavant.
Un simulateur quantique : pour décrire ce qu’ils voient en laboratoire, les physiciens font des théories à partir d’équations. Leur résolution peut être d’une redoutable difficulté. Cette année pourtant, des chercheurs ont trouvé un raccourci en faisant des simulateurs quantiques, plus précisément des cristaux artificiels où un faisceau de lumière laser joue le rôle d’ions et où des atomes piégés par cette lumière représentent des électrons. Ce type de dispositif apporte des réponses rapides aux problèmes théoriques de physique de la matière condensée et pourrait aider un jour à résoudre des mystères comme celui de la supraconductivité.
La génomique de prochaine génération : des technologies de séquençage plus rapide et meilleur marché autorisent des études à très grande échelle d’ADN ancien ou moderne. Le projet 1 000 Genomes, par exemple, a déjà identifié une grande partie de ces variations qui font de nous des êtres humains à part entière et d’autres projets en cours devraient en révéler bientôt beaucoup plus sur le fonctionnement du génome.
La reprogrammation de l’ARN : la reprogrammation de cellules, c’est-à-dire remettre à zéro leur horloge développementale pour qu’elles se comportent comme les « cellules souches » non spécialisées de l’embryon, est devenue une technique standard en laboratoire dans l’étude du développement et des maladies. Cette année, des chercheurs ont trouvé le moyen de le faire en utilisant de l’ARN synthétique. Comparée aux méthodes précédentes, cette technique est deux fois plus rapide, 100 fois plus efficace et potentiellement plus sûre dans le cadre d’un usage thérapeutique.
Le retour du rat : la souris domine parmi les animaux de laboratoire mais les chercheurs préféreraient utiliser le rat pour de multiples raisons. S’il est plus facile de travailler avec cet animal, plus proche de nous du point de vue anatomique, il présente néanmoins le gros défaut de ne pas permettre la technique d’élimination de gènes spécifiques connue sous le nom de knockout. De nombreux travaux cette année promettent toutefois l’arrivée par la grande porte des « rats knockout » dans les laboratoires.
Enfin, pour célébrer la fin de cette décennie, les journalistes et rédacteurs des actualités de Science ont pris un peu de recul par rapport à leurs nouvelles hebdomadaires pour donner un plus large aperçu des 10 faits scientifiques marquants qui ont changé la face de la science depuis le début du millénaire. La liste de ces 10 « faits marquants de la décennie » est donnée ci-après.
Le génome sombre : les gènes avaient le plus souvent la vedette. Maintenant, les chercheurs reconnaissent que ces régions codant pour les protéines du génome ne représentent qu’à peine 1,5 pour cent de l’ensemble. Le reste du génome – dont les petits ARN non codant – qui était auparavant considéré comme de l’ADN « poubelle » s’avère aussi important que les gènes.
La cosmologie de précision : durant la décennie écoulée, les chercheurs ont dressé une liste beaucoup plus précise des ingrédients de l’Univers, qui consiste en matière ordinaire, en matière noire et en énergie noire, ainsi qu’en instructions pour rassembler le tout. Ces avancées ont fait de la cosmologie une science de précision avec une théorie standard qui laisse peu de marge pour d’autres idées.
Les biomolécules du passé : la compréhension que les « biomolécules » comme l’ADN ou le collagène anciens peuvent persister des dizaines de milliers d’années et fournir des informations importantes sur des plantes, des animaux ou des êtres humains disparus depuis longtemps a été une aubaine pour la paléontologie. L’analyse de ces minuscules machines à remonter le temps peut maintenant dévoiler des adaptations anatomiques que les données du squelette ne peuvent apporter, telles que la couleur des plumes des dinosaures ou comment les mammouths laineux ont pu résister au froid.
De l’eau sur Mars. Une demi-douzaine de missions vers Mars ont, ces dix dernières années, donné des preuves claires que la planète rouge a eu autrefois assez d’eau, en surface ou juste en sous-sol, pour modifier la formation des roches et potentiellement héberger la vie. Cette eau martienne était probablement présente lorsque la vie est apparue sur Terre mais l’humidité qui reste incite encore les scientifiques à rechercher si des microbes y vivent et y respirent.
Reprogrammer des cellules. Au cours de la décennie écoulée, l’idée que le développement est à sens unique a été balayée. Les chercheurs ont maintenant trouvé comment « reprogrammer » des cellules pleinement différenciées en cellules dites pluripotentes ayant retrouvé le potentiel de devenir n’importe quelle cellule de l’organisme. Cette technique a déjà été utilisée pour faire des lignées cellulaires de patients atteints de maladies rares et les scientifiques espèrent qu’elle finira par leur permettre de faire pousser des cellules, des tissus et des organes de remplacement adaptés génétiquement.
Le microbiome : un changement radical de la manière dont nous considérons les microbes et les virus hébergés par notre corps a conduit les chercheurs au concept de microbiome, ou de génome collectif de l’hôte et des autres êtres vivants qui vivent à sa surface. Comme 90 pour cent des cellules de notre corps sont des microbes, les scientifiques commencent à comprendre combien des gènes microbiens peuvent affecter la quantité de matière que nous absorbons de notre nourriture et comment notre système immunitaire répond aux infections.
Les exoplanètes. En 2000, les chercheurs ne connaissaient que 26 planètes en dehors de notre système solaire. En 2010, ils en avaient dénombré 502, et cela continue. Avec l’arrivée de nouvelles techniques, les astronomes s’attendent à trouver de nombreuses planètes de type terrestre dans l’Univers. Actuellement, la taille et l’orbite des plus grandes planètes découvertes sont en train de révolutionner la compréhension de la manière dont les systèmes planétaires se sont formés.
Inflammation. Il n’y a pas longtemps, l’inflammation n’était vue que comme un simple effet collatéral de la guérison, s’installant pour faciliter la reconstruction de tissus lésés ou infectés par le système immunitaire. Aujourd’hui, les chercheurs pensent que l’inflammation intervient aussi activement dans les maladies chroniques qui peuvent nous faire mourir telles que le cancer, la maladie d’Alzheimer, l’athérosclérose, le diabète ou l’obésité.
Les métamatériaux : en synthétisant des matériaux aux propriétés optiques non conventionnelles et réglables, des physiciens et des ingénieurs ont ouvert la voie pour de nouveaux moyens de guider et manipuler la lumière, créant des lentilles qui défient les limites fondamentales de la résolution. Ils ont même commencé à fabriquer des « capes » qui peuvent rendre des objets invisibles.
Le changement climatique : durant la décennie passée, les chercheurs ont consolidé des données fondamentales du changement climatique. La planète se réchauffe, les êtres humains en sont responsables, et les processus naturels terrestres ne ralentiront pas la tendance. Les dix prochaines années vont toutefois montrer comment les scientifiques et les politiques traiteront cette information vitale.
Le jeudi 16 décembre les articles sur les avancées de l’année, les faits marquants de la décennie écoulée et l’éditorial associé de Bruce Alberts, rédacteur en chef de la revue Science, ainsi que des documents multimédias en rapport seront disponibles dans l’après-midi à l’adresse http://www.sciencemag.org/special/insights2010/.
L’American Association for the Advancement of Science (AAAS), la plus grande association sur les sciences en général dans le monde, édite les revues Science, Science Translational Medicine et Science Signaling. Fondée en 1848, l’AAAS est au service de 10 millions de personnes au travers de 262 sociétés et académies des sciences affiliées. Science est la revue générale scientifique à comité de lecture la plus vendue dans le monde, avec un lectorat total estimé à un million de personnes. L’AAAS, à but non lucratif, est ouverte à tous et remplit sa mission de « faire avancer la science et de servir la société » par le biais notamment d’initiatives dans les politiques scientifiques, de programmes internationaux et de l’éducation scientifique. Pour les dernières nouvelles de la recherche scientifique, visitez Eurekalert!, le premier site web d’actualités scientifiques et un service également fourni par l’AAAS.
Source: Natasha Pinol – American Association for the Advancement of Science
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