Genève, le 31 mai 2010. Les chercheurs de l’expérience OPERA au laboratoire du Gran Sasso (Italie) de l’INFN1 ont annoncé ce jour la première observation directe d’une particule tau dans un faisceau de neutrinos du muon envoyé par le CERN2 à travers l’écorce terrestre, à 730 km de distance. Ce résultat majeur apporte la pièce manquante d’un puzzle qui défie la science depuis les années 60 et ouvre la voie à une nouvelle physique.
L’énigme du neutrino a commencé avec une expérience inédite menée par le scientifique américain Ray Davis dans les années 60, qui valut par la suite à celui-ci le prix Nobel. Ray Davis observa que le nombre de neutrinos arrivant sur la Terre en provenance du Soleil était bien inférieur à ce que les modèles solaires prédisaient. Donc, soit les modèles solaires étaient erronés, soit il était arrivé quelque chose aux neutrinos pendant le trajet. Une solution possible à cette énigme fut proposée en 1969 par les théoriciens Bruno Pontecorvo et Vladimir Gribov, qui avancèrent pour la première fois que les changements oscillatoires entre différents types de neutrinos – un peu comme les changements de couleur d’un caméléon – pouvaient être responsables du déficit apparent de neutrinos.
Plusieurs expériences menées depuis lors ont permis d’observer la disparition de neutrinos du muon, confirmant ainsi l’hypothèse de l’oscillation, mais, jusqu’ici, on n’avait encore jamais observé l’apparition d’un neutrino du tau dans un faisceau constitué exclusivement de neutrinos du muon : c’est la première fois que l’on surprend un neutrino en train de muter du type muonique au type tauique.
Pour Antonio Ereditato, porte-parole de la collaboration OPERA, cet événement est “un résultat important qui récompense l’ensemble de la collaboration OPERA pour son investissement pendant toutes ces années et qui confirme les choix judicieux que nous avons fait pour cette expérience. Nous sommes convaincus que ce premier événement sera suivi d’autres du même type, ce qui confirmera l’oscillation des neutrinos”.
“L’expérience OPERA a atteint son but premier: la détection, survenue durant le trajet entre Genève et le Laboratoire du Gran Sasso, d’un neutrino du tau résultant de la transformation d’un neutrino du muon,” explique Lucia Votano, directrice des laboratoires du Gran Sasso. “Ce résultat important récompense dix années d’intenses efforts déployés par la Collaboration avec l’appui du Laboratoire et confirme une nouvelle fois que le LNGS est un laboratoire de premier plan en astrophysique des particules”.
Ce résultat est le fruit de sept années de préparation et de plus de trois années d’alimentation en faisceaux par le CERN. Durant cette période, des milliards de milliards de neutrinos du muon ont été envoyés du CERN vers le Gran Sasso, la durée d’un voyage n’étant que de 2,4 millisecondes. L’oscillation des neutrinos étant un phénomène rare, et les neutrinos interagissant très faiblement avec la matière, ce type d’expérience est extrêmement délicat. Le faisceau de neutrinos du CERN a été lancé pour la première fois en 2006, et depuis, les chercheurs de l’expérience OPERA passent leurs données au crible pour démontrer l’existence de particules tau, qui révélerait qu’un neutrino du muon s’est transformé en un neutrino du tau. Comme le souligne Roberto Petronzio, président de l’INFN, dans ce type d’expérience de physique des particules, la patience est mère de toutes les vertus.
“On doit ce succès à la ténacité et à la créativité des physiciens du monde entier, qui ont conçu un faisceau de particules spécialement pour cette expérience,” souligne Roberto Petronzio. “Le projet initial du Gran Sasso est ainsi couronné de succès. En effet, lors de leur construction, les laboratoires avaient été orientés de façon à pouvoir recevoir des faisceaux de particules en provenance du CERN”.
Au CERN, les neutrinos sont produits par un faisceau de protons accéléré qui percute une cible. Lorsque les protons frappent la cible, des particules appelées pions et kaons sont créées. Ces particules se désintègrent rapidement et donnent ainsi naissance aux neutrinos. Contrairement aux particules chargées, les neutrinos ne sont pas sensibles aux champs électromagnétiques qu’utilisent généralement les physiciens pour modifier les trajectoires des faisceaux. Ils traversent la matière sans interagir avec elle et ne changent jamais de direction. Ainsi, dès leur création, ils suivent une trajectoire rectiligne à travers l’écorce terrestre. Pour cette raison, il est extrêmement important que, dès le départ, le faisceau pointe exactement dans la direction du Gran Sasso.
“Cet événement marque une étape importante pour la physique des neutrinos,” déclaré Rolf Heuer, directeur général du CERN. “J’adresse mes félicitations à l’expérience OPERA et aux laboratoires du Gran Sasso, ainsi qu’aux départements responsables des accélérateurs du CERN. Nous avons tous hâte de découvrir la nouvelle physique que ce résultat laisse présager.”
L’observation d’oscillations du neutrino, en refermant un chapitre de la connaissance de la nature des neutrinos, ouvre la voie à une nouvelle physique. Selon les théories sur lesquelles s’appuient les physiciens pour expliquer le comportement des particules fondamentales – ce qu’on appelle le modèle standard – les neutrinos ne possèdent pas de masse. Or, pour qu’ils puissent osciller, les neutrinos doivent avoir une masse ; il doit donc manquer quelque chose dans le modèle standard. S’ils se servent de ce modèle pour décrire les particules qui forment l’Univers visible et leurs interactions, les physiciens savent depuis longtemps qu’il est loin de tout expliquer. Une possible pièce manquante serait l’existence d’autres types de neutrinos non encore observés à ce jour, qui pourraient faire la lumière sur la matière noire, censée constituer environ un quart de la masse de l’Univers.
Plus d’informations, de photos et de vidéos sur:
http://operaweb.lngs.infn.it/
http://operaweb.lngs.infn.it/spip.php?rubrique2
http://cdsweb.cern.ch/record/1268443
1.L’INFN, Institut national italien de physique nucléaire, finance, coordonne et met en œuvre des activités de recherche scientifique en physique nucléaire et subnucléaire et en astrophysique des particules, et participe au développement des technologies qui s’y associent. Il travaille en collaboration avec des universités, contribue à divers débats sur la scène internationale et participe à des programmes de coopération. L’Institut a été créé le 8 août 1951 par des physiciens de Milan, Padoue, Rome et Turin dans le but de poursuivre et de promouvoir les recherches entamées par l’équipe de chercheurs d’Enrico Fermi dans les années 30. L’INFN, qui se développe continûment depuis 50 ans, compte aujourd’hui 30 unités de recherche, quatre laboratoires nationaux et un centre de traitement des données. En outre, le Laboratoire européen pour la gravitation (EGO), créé conjointement par l’INFN et le CNRS (Centre national français de la recherche scientifique), est implanté dans la région de Pise. Sur les plus de 5000 personnes qui travaillent pour l’Institut, 2000 sont employées directement par celui-ci, 2000 sont membres du personnel de l’université et plus de 1000 sont étudiants ou boursiers.
2.Le CERN, l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire, est l’un des plus grands et des plus prestigieux laboratoires de physique des particules du monde. Il a son siège à Genève. Actuellement, ses États membres sont l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, la Bulgarie, le Danemark, l’Espagne, la Finlande, la France, la Grèce, la Hongrie, l’Italie, la Norvège, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la République slovaque, la République tchèque, le Royaume-Uni, la Suède et la Suisse. L’Inde, Israël, le Japon, la Fédération de Russie, les États-Unis d’Amérique, la Turquie, la Commission européenne et l ‘UNESCO ont le statut d’observateur.
Source: CERN
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