L’optique adaptative permet d’observer le ciel en s’affranchissant des perturbations liées aux turbulences de l’atmosphère. Une innovation majeure dans ce domaine vient d’être apportée par une équipe franco-britannique, incluant des astronomes de l’Observatoire de Paris, du CNRS et de l’Université Paris Diderot. Cette avancée a été, pour la première fois, testée et validée en conditions réelles au moyen du prototype CANARY (1) installé sur un télescope de La Palma (Espagne). Elle permet d’observer les sources astronomiques très faiblement lumineuses dans un champ de vue beaucoup plus étendu qu’auparavant. À l’avenir, ce système novateur pourrait être intégré dans l’un des instruments qui équipera le télescope géant européen de l’ESO, au Chili. Il permettra d’étudier l’Univers jeune et de mieux comprendre son évolution.
Disposer d’un télescope de très grande taille est l’un des préalables essentiels pour observer les premières étoiles et galaxies qui se sont formées dans l’Univers jeune, 800 millions d’années après le big bang. Appelé European Extremely Large Telescope (E-ELT), le télescope géant européen de l’ESO fera 42 mètres de diamètre et sera construit à 3060 mètres d’altitude, dans le désert d’Atacama au Chili. Cependant, comme tous ses homologues terrestres, il subira les effets inévitables de la turbulence atmosphérique qui brouille les images et en réduit le contraste et la résolution. Afin de corriger ces déformations, il devra être équipé d’une technologie appelée « optique adaptative ». Son principe ? Elle utilise un miroir déformable afin de compenser en temps réel les avances et les retards subis par les fronts d’onde de lumière après propagation dans l’atmosphère. Inconvénient : elle ne pouvait jusqu’à présent s’appliquer que sur un champ de vue étroit. Or, il est primordial d’accéder à une vision plus étendue pour une analyse approfondie de l’Univers jeune. Des champs de vue au moins dix fois plus larges sont en effet nécessaires.
Pour parvenir à de telles performances, le spectromètre imageur multiobjet EAGLE (2), qui devrait équiper l’E-ELT, est en cours de conception en France et au Royaume-Uni. Son objectif est de permettre l’observation en parallèle de 20 galaxies lointaines dans un champ de 5 minutes d’arc (3) (1/6 du diamètre de la pleine Lune). Une correction des perturbations atmosphériques sera effectuée pour chacune d’entre elles. Toutefois, ces galaxies primordiales, présentes aux premiers instants de l’Univers, sont trop faiblement lumineuses pour permettre une quelconque mesure directe des perturbations. Celle-ci doit donc s’appuyer sur l’information lumineuse des rares étoiles guides présentes dans le champ de vue, éventuellement complétée par la création par laser d’étoiles artificielles quand le nombre d’étoiles guides naturellement disponibles n’est pas suffisant. Dans ces conditions, compenser la turbulence par un seul miroir déformable n’est plus aussi efficace qu’en optique adaptative classique. Les galaxies primordiales ayant une très petite taille apparente (de l’ordre d’une seconde d’arc), il suffit de corriger des petites portions d’images qui correspondent aux galaxies à observer. C’est sur cette base que les chercheurs ont mis au point une nouvelle technologie d’optique adaptative, appelée optique adaptative multiobjet (Multi-Object Adaptive Optics : MOAO). Ce dispositif novateur utilise un miroir déformable par galaxie-cible (soit 20 au total). Pour chacune d’entres elles, le miroir est déformé en fonction des mesures faites sur toutes les étoiles guides du champ, par le biais d’un sondage tomographique de l’atmosphère.
Installée sur le prototype CANARY, cette nouvelle technique a, pour la première fois, été validée en conditions réelles sur le ciel, au télescope William Herschel de 4,2 mètres de diamètre à La Palma aux îles Canaries, en Espagne. Les mesures ont été effectuées sur trois étoiles guides situées à grande distance de l’étoile test pour laquelle la correction de la dégradation des images a été estimée. Cette compensation a été appliquée 150 fois par seconde, au miroir déformable placé dans le faisceau lumineux de l’étoile test. Les performances de CANARY sont à la hauteur des espérances placées dans cette technologie : la qualité de l’image obtenue est très proche de celle mesurée en mode optique adaptative classique dans les mêmes conditions. Les astronomes disposent désormais d’une technique d’optique adaptative permettant d’explorer un champ de vue plus de 10 fois supérieur à celui disponible jusqu’à présent. Il s’agit maintenant de reproduire l’expérience avec ce même démonstrateur, en introduisant des étoiles guides artificielles créées par laser. Si cette technologie confirme ses prouesses, elle équipera le E-ELT de l’ESO.
– en France : l’Agence nationale de la recherche (ANR), le CNRS, l’Observatoire de Paris et l’Université Paris Diderot ;
– au Royaume-Uni : Science and Technology Facilities Council et l’Université de Durham ;
– la Commission Européenne.
L’équipe CANARY, pilotée par Gérard Rousset du LESIA et Richard Myers de l’Université de Durham, remercie les contributions de Engineering and Project Solutions Ltd et de Isaac Newton Group qui gère le télescope William Herschel. Le projet EAGLE (http://eagle.oamp.fr) est mené par Jean-Gabriel Cuby (LAM) et Simon Morris de l’Université de Durham.
Notes :
(1) Les laboratoires impliqués dans ce travail sont : le Laboratoire d’études spatiales et d’instrumentations en astrophysique (LESIA, Observatoire de Paris/CNRS/Université Paris Diderot/UPMC), le Laboratoire d’études des galaxies, étoiles, physique et instrumentation (GEPI, Observatoire de Paris/CNRS/Université Paris Diderot), l’Université de Durham et l’Astronomy Technology Centre (UKATC) au Royaume-Uni.
(2) Les laboratoires chargés de la conception de l’instrument EAGLE sont : le Laboratoire d’astrophysique de Marseille (CNRS/ Université de Provence), le LESIA, le GEPI, l’Office national d’études et de recherches aérospatiales (ONERA), l’Université de Durham et l’UKATC.
(3) 1 minute d’arc correspond à 1/60 de degré ou 1/30 du diamètre de la pleine Lune.
Source: communiqué de presse du CNRS
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