Pour la première fois, des astronomes ont été capables de suivre directement une exoplanète alors qu’elle se déplaçait d’un côté à l’autre de son étoile. Cette planète a de loin l’orbite la plus petite de toutes les exoplanètes observées de manière directe, se trouvant aussi proche de son étoile que Saturne l’est du Soleil. Les scientifiques pensent qu’elle pourrait s’être formée de la même manière que les planètes géantes du système solaire. Etant donné que l’étoile est très jeune, cette découverte prouve que les planètes géantes gazeuses peuvent se former dans des disques en seulement quelques millions d’années, une période relativement courte à l’échelle du temps cosmique.
Seulement âgée de 12 millions d’années environ, soit moins de 3% de l’âge du Soleil, Bêta Pictoris est 1,75 fois plus massive que notre étoile. Située à près de 60 années-lumière dans la constellation du Peintre, elle est l’un des exemples les plus connus d’étoile entourée d’un disque de débris de poussière [1]. De précédentes observations ont montré un gauchissement du disque, un disque secondaire incliné et des comètes tombant sur l’étoile. « Ces informations étaient indirectes, mais constituaient des signes très révélateurs, suggérant la très probable présence d’une planète massive et nos nouvelles observations le prouvent maintenant de manière définitive », indique la responsable de l’équipe, Anne-Marie Lagrange, directrice de recherche au CNRS et membre du Laboratoire d’Astrophysique de Grenoble (LAOG : CNRS, Université Joseph Fourier, OSUG-INSU). « Puisque l’étoile est très jeune, nos résultats montrent que les planètes géantes gazeuses peuvent se former dans les disques en seulement quelques millions d’années. »
De récentes observations ont indiqué que les disques autour de jeunes étoiles se dispersent en quelques millions d’années et que la formation de planètes géantes doit se produire plus rapidement que ce que l’on pensait. Bêta Pictoris est maintenant la preuve très claire que c’est effectivement possible.
L’équipe a utilisé l’instrument NACO-CONICA (ou NACO [2]), installé sur l’un des télescopes de 8,2 mètres du Very Large Telescope (VLT) de l’ESO, pour étudier l’environnement proche de Bêta Pictoris en 2003, 2008 et 2009. En 2003, une source faible a été détectée à l’intérieur du disque (eso0842), mais il n’était pas possible d’exclure de façon définitive la possibilité que cette source soit une étoile d’arrière-plan. Sur de nouvelles images obtenues en 2008 et au printemps 2009, la source avait disparu ! Les observations les plus récentes, prises à l’automne 2009, révèlent que l’objet se situe de l’autre côté du disque après une période de disparition derrière ou devant l’étoile (dans ce dernier cas, elle est invisible du fait de la lumière éblouissante de l’étoile). Ceci a permis de confirmer que la source était bien une exoplanète se déplaçant autour de son étoile, donnant ainsi des éléments pour déterminer la taille de son orbite.
Des images ont pu être prises pour une dizaine d’exoplanètes et la planète en orbite autour de Bêta Pictoris (nommée « Bêta Pictoris b ») a, de loin, la plus petite orbite. Elle est située à une distance de son étoile comprise entre 8 et 15 fois la distance Terre-Soleil, soit entre 8 et 15 unités astronomiques, ce qui correspond à peu près à la distance qui sépare Saturne du Soleil. « La courte période de la planète nous permettra d’enregistrer son orbite complète d’ici probablement 15 à 20 ans et les futures études de Bêta Pictoris b fourniront des éléments très importants sur la physico-chimie de l’atmosphère d’une jeune exoplanète géante, » dit Mickael Bonnefoy, doctorant au LAOG.
La masse de l’exoplanète est équivalente à 9 fois celle de Jupiter. Elle a la bonne masse et se situe au bon endroit pour expliquer le gauchissement des parties intérieures du disque. Cette découverte présente certaines similitudes avec la prévision de l’existence de Neptune réalisée par Adams et Le Verrier au 19e siècle, à partir d’observations de l’orbite d’Uranus.
« Avec les exoplanètes trouvées autour des jeunes étoiles massives Fomalhaut et HR8799, l’existence de Bêta Pictoris b suggère que les « super-jupiter » pourraient être des sous-produits fréquents de la formation planétaire autour d’étoiles massives, » explique un autre scientifique de l’équipe, Gaël Chauvin, chargé de recherche au CNRS et membre du LAOG.
De telles planètes perturbent les disques autour de leurs étoiles, créant des structures qui seront aisément observables avec ALMA (Atacama Large Millimeter/submillimeter Array), le télescope révolutionnaire en cours de construction par l’ESO et ses partenaires internationaux.
Des images de quelques candidats planétaires ont été obtenues, mais ces planètes sont toutes situées plus loin de leur étoile hôte que ne l’est Bêta Pictoris b. Si nous étions dans le Système solaire, ces planètes se trouveraient à proximité ou au-delà de l’orbite de la planète la plus lointaine, Neptune. Les processus de formation de ces planètes distantes sont susceptibles d’être très différents de ceux qui ont eu lieu dans notre Système solaire et dans Bêta Pictoris.
« Les images récentes des exoplanètes – dont beaucoup ont été faites avec le VLT – illustrent la diversité des systèmes planétaires », déclare Anne-Marie Lagrange. « Parmi celles-ci, Bêta Pictoris b est le cas le plus prometteur d’une planète qui pourrait avoir été formée comme les planètes géantes du Système solaire. »
Notes
[1] Les disques de débris sont composés de poussière résultant des collisions entre les plus gros corps tels que les embryons planétaires ou les astéroïdes. Ils représentent une version à plus grande échelle de la poussière zodiacale de notre Système solaire. Le disque autour de Bêta Pictoris a été le premier à être photographié et nous savons maintenant qu’il s’étend sur plus de 1000 fois la distance Terre-Soleil.
[2] L’instrument NACO, installé au VLT de l’ESO au Chili, est une collaboration entre des instituts Français, Allemands et l’ESO. NACO est constitué d’un système d’optique adaptative et d’un spectro-imageur dans le proche infrarouge (NAOS-CONICA). Le dispositif d’optique adaptative a été développé sous la maîtrise d’œuvre de l’ONERA avec, notamment, le Laboratoire d’Etudes Spatiales et d’Instrumentation en Astrophysique (Observatoire de Paris, CNRS) et le LAOG (Observatoire des Sciences de l’Univers de Grenoble/INSU). Ce système compense la dégradation des images produite par la turbulence de l’atmosphère.
Plus d’informations
Cette recherche a été présentée dans un article publié cette semaine dans le journal « Science » (“A Giant Planet Imaged in the disk of the Young Star Beta Pictoris,” by A.-M. Lagrange et al.).
L’équipe est composée de : A.-M. Lagrange, M. Bonnefoy, G. Chauvin, D. Ehrenreich, D. Mouillet du Laboratoire d’Astrophysique de Grenoble (CNRS, Université Joseph Fourier, OSUG/INSU – France) ; D. Apai du Space Telescope Institute (Baltimore, USA) ; A. Boccaletti, D. Gratadour, D. Rouan, S. Lacour du Laboratoire d’Etudes Spatiales et d’instrumentation en Astrophysique (Observatoire de Paris, CNRS, Université Pierre et Marie Curie, Université Paris Diderot) ; M. Kasper de l’ESO.
L’ESO – l’Observatoire Européen Austral – est la première organisation intergouvernementale pour l’astronomie en Europe et l’observatoire astronomique le plus productif au monde. L’ESO est soutenu par 14 pays : l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, le Danemark, l’Espagne, la Finlande, la France, l’Italie, les Pays-Bas, le Portugal, la République Tchèque, le Royaume-Uni, la Suède et la Suisse. L’ESO conduit d’ambitieux programmes pour la conception, la construction et la gestion de puissants équipements pour l’astronomie au sol qui permettent aux astronomes de faire d’importantes découvertes scientifiques. L’ESO joue également un rôle de leader dans la promotion et l’organisation de la coopération dans le domaine de la recherche en astronomie. L’ESO gère trois sites d’observation uniques, de classe internationale, au Chili : La Silla, Paranal et Chajnantor. À Paranal, l’ESO exploite le VLT « Very Large Telescope », l’observatoire astronomique observant dans le visible le plus avancé au monde et VISTA, le plus grand télescope pour les grands relevés. L’ESO est le partenaire européen d’ALMA, un télescope astronomique révolutionnaire. ALMA est le plus grand projet astronomique en cours de réalisation. L’ESO est actuellement en train de programmer la réalisation d’un télescope européen géant – l’E-ELT- qui disposera d’un miroir primaire de 42 mètres de diamètre et observera dans le visible et le proche infrarouge. L’E-ELT sera « l’œil tourné vers le ciel » le plus grand au monde.
Liens
- Article scientifique
- En savoir plus sur les exoplanètes : Exoplanet media kit
Source: ESO
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