Des astronomes défient les théories en vigueur
En utilisant le VLT de l’ESO, une équipe d’astronomes européens a pu démontrer pour la première fois qu’un magnétar – un type rare d’étoile à neutrons – a été formé à partir d’une étoile ayant une masse d’au moins 40 fois celle du Soleil. Ce résultat représente un véritable défi pour les théories en vigueur sur l’évolution des étoiles puisqu’une étoile aussi massive était supposée devenir un trou noir et non un magnétar. Ce résultat soulève donc une question fondamentale : quelle masse doit réellement avoir une étoile pour devenir un trou noir ?
Pour obtenir leurs conclusions les astronomes ont observé en détail l’extraordinaire amas d’étoiles Westerlund 1 (amas de l’Autel) [1], situé à 16 000 années lumière de la Terre dans la constellation de l’Autel. Grâce à de précédentes études (eso0510) les astronomes savaient que Westerlund 1 était le plus proche des super amas d’étoiles connus, contenant des centaines d’étoiles massives, certaines brillant d’un éclat pratiquement équivalent à un million de soleils et certaines ayant un diamètre deux mille fois plus grand que le Soleil (aussi large que l’orbite de Saturne).
« Si le Soleil se trouvait au cœur de ce remarquable amas, notre ciel nocturne serait rempli de centaines d’étoiles aussi brillantes que la pleine Lune » dit Ben Ritchie, le premier auteur de l’article scientifique présentant ces résultats.
Westerlund 1 est un fantastique zoo stellaire avec une population d’étoiles exotique et variée. Les étoiles de l’amas ont au moins un point commun : elles ont toutes le même âge, estimé entre 3,5 et 5 millions d’années, puisque l’amas a été formé au cours d’un épisode unique de formation stellaire.
Un magnétar (eso0831) est un type d’étoile à neutrons avec un champ magnétique incroyablement fort – un million de milliards de fois plus fort que celui de la Terre – qui se forme quand certaines étoiles explosent en supernova. L’amas Westerlund 1 héberge l’un des rares magnétars connus dans la Voie Lactée. Du fait de sa localisation dans l’amas, les astronomes ont été capables de faire la remarquable déduction que ce magnétar a dû se former à partir d’une étoile d’au moins 40 fois la masse du Soleil.
Comme toutes les étoiles de Westerlund 1 ont le même âge, cette étoile qui a explosé pour ne laisser derrière elle qu’un magnétar a dû avoir une durée de vie plus courte que les autres étoiles toujours présentes dans l’amas. « Puisque la durée de vie d’une étoile est directement liée à sa masse – plus une étoile est massive, plus sa vie est courte – si nous pouvons déterminer la masse de n’importe qu’elle étoile encore « en vie », nous pouvons dire sans aucun doute que notre étoile à la plus courte vie qui est devenue un magnétar doit avoir été encore plus massive, » explique Simon Clark, un des coauteurs de l’article et responsable de l’équipe. « Ceci a une très grande importance du fait qu’il n’y a pas encore de théorie satisfaisante pour expliquer comment de tels objets extrêmement magnétiques se forment. »
Les astronomes ont donc étudié les étoiles du système binaire à éclipses W13 dans Westerlund 1 en utilisant le fait que dans un tel système les masses peuvent être déterminées directement à partir du mouvement des étoiles.
Par comparaison avec ces étoiles ils ont trouvé que l’étoile devenue un magnétar devait avoir une masse d’au moins 40 fois celle du Soleil. Ce résultat prouve pour la première fois que les magnétars peuvent être l’évolution d’étoiles si massives que l’on se serait normalement attendu à ce qu’elles forment des trous noirs. On supposait précédemment que les étoiles avec des masses initiales comprises entre 10 et 25 masses solaires formaient des étoiles à neutrons et que celles dont la masse était supérieure à 25 masses solaires devaient produire des trous noirs.
« Ces étoiles doivent se débarrasser de plus de neuf dixièmes de leur masse avant d’exploser en supernova, sinon elles formeraient un trou noir, » précise Ignacio Negueruela, un des coauteurs de l’article. « Une telle perte de masse avant l’explosion constitue un réel défi pour les théories en vigueur sur l’évolution des étoiles. »
« Si les étoiles ayant une masse encore plus importante que 40 fois la masse du Soleil ne peuvent réaliser la prouesse d’évoluer en trou noir, la question complexe de la masse que doit réellement avoir une étoile pour s’effondrer et former un trou noir se pose bel et bien » conclut Norbert Langer, un autre coauteur.
Le processus de formation privilégié par les astronomes postule que l’étoile devenue un magnétar – la génitrice – est née avec un compagnon stellaire. Au fur et à mesure de l’évolution des deux étoiles, elles ont dû commencer à interagir et l’énergie tirée de leur mouvement orbital a servi à éjecter de gigantesques quantités de matière de l’étoile « génitrice ». Comme aucun compagnon de ce type n’est actuellement visible à l’emplacement du magnétar, on peut supposer que la supernova qui a formé le magnétar a causé l’éclatement du système binaire, éjectant à grande vitesse les deux étoiles de l’amas.
« Si tel est le cas, cela laisse penser que les systèmes binaires peuvent jouer un rôle clé dans l’évolution des étoiles en facilitant la perte de masse – le dernier régime cosmique pour « étoiles poids lourd », qui les débarrasse de plus de 95% de leur masse initiale, » conclut Simon Clark.
Notes
[1] L’amas ouvert Westerlund 1 a été découvert en 1961 depuis l’Australie par l’astronome Suedois Bengt Westerlund qui quitta ce pays pour devenir Directeur de l’ESO au Chili (1970-74). Cet amas se trouve derrière un gigantesque nuage interstellaire de gaz et de poussière qui bloque la plus grande partie de la lumière visible. Le facteur d’absorption est de plus de 100 000 et c’est la raison pour laquelle il a fallu tant de temps pour dévoiler la véritable nature de cet amas particulier.
Westerlund 1 est un laboratoire naturel unique pour étudier la physique stellaire extrême, aidant les astronomes à comprendre comment les étoiles les plus massives de la Voie Lactée vivent et meurent. A partir de leurs observations, les astronomes ont conclu que cet amas extrême devait probablement contenir pas moins de 100 000 fois la masse du Soleil et toutes ses étoiles sont situées dans une région qui s’étend sur moins de 6 années-lumière. Westerlund 1 apparaît également comme le plus massif des jeunes amas compacts détectés jusque là dans la Voie Lactée.
Toutes les étoiles analysées jusqu’à présent dans Westerlund 1 ont une masse d’au moins 30 à 40 fois celle du Soleil. De telles étoiles ayant une vie plutôt courte – au sens astronomique du terme – Westerlund 1 doit être très jeune. Les astronomes ont évalué son âge entre 3,5 et 5 millions d’années. Aussi, Westerlund 1 est clairement un amas « nouveau-né » dans notre Galaxie.
Plus d’informations
Cette recherche, présentée dans ce communiqué de presse de l’ESO, sera bientôt publiée dans le journal Astronomy and Astrophysics (“A VLT/FLAMES survey for massive binaries in Westerlund 1: II. Dynamical constraints on magnetar progenitor masses from the eclipsing binary W13”, by B. Ritchie et al.). La même équipe a publié une première étude sur cet objet en 2006 (“A Neutron Star with a Massive Progenitor in Westerlund 1”, by M.P. Muno et al., Astrophysical Journal, 636, L41).
L’équipe est composée de Ben Ritchie et Simon Clark (The Open University, Royaume Uni), Ignacio Negueruela (Universidad de Alicante, Espagne), et de Norbert Langer (Universität Bonn, Allemagne, et Universiteit Utrecht, Hollande).
Cette équipe d’astronomes a utilisé l’instrument FLAMES sur le VLT de l’ESO à Paranal au Chili pour étudier les étoiles de l’amas Westerlund 1.
L’ESO – l’Observatoire Européen Austral – est la première organisation intergouvernementale pour l’astronomie en Europe et l’observatoire astronomique le plus productif au monde. L’ESO est soutenu par 14 pays : l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, le Danemark, l’Espagne, la Finlande, la France, l’Italie, les Pays-Bas, le Portugal, la République Tchèque, le Royaume-Uni, la Suède et la Suisse. L’ESO conduit d’ambitieux programmes pour la conception, la construction et la gestion de puissants équipements pour l’astronomie au sol qui permettent aux astronomes de faire d’importantes découvertes scientifiques. L’ESO joue également un rôle de leader dans la promotion et l’organisation de la coopération dans le domaine de la recherche en astronomie. L’ESO gère trois sites d’observation uniques, de classe internationale, au Chili : La Silla, Paranal et Chajnantor. À Paranal, l’ESO exploite le VLT « Very Large Telescope », l’observatoire astronomique observant dans le visible le plus avancé au monde et VISTA, le plus grand télescope pour les grands relevés. L’ESO est le partenaire européen d’ALMA, un télescope astronomique révolutionnaire. ALMA est le plus grand projet astronomique en cours de réalisation. L’ESO est actuellement en train de programmer la réalisation d’un télescope européen géant – l’E-ELT- qui disposera d’un miroir primaire de 42 mètres de diamètre et observera dans le visible et le proche infrarouge. L’E-ELT sera « l’œil tourné vers le ciel » le plus grand au monde.
Liens
- L’article scientifique
- Plus d’informations : Black Hole Press Kit
Source: ESO
Mealin dit
Il nous en reste des choses à apprendre et des théories à remettre en question !