Si vous n’avez aucune idée de ce qu’est la matière sombre, ou si vous croyez que c’est un de ces mystères de l’astronomie aussi éloignés de notre réalité qu’il est possible de l’être, alors les physiciens ont du rattrapage à faire, eux qui commencent déjà à évoquer « l’une des plus importantes découvertes de la physique depuis un siècle ».
Mais vaudrait mieux que les physiciens ne s’excitent pas trop vite : selon le directeur du consortium international de chercheurs qui provoque cette excitation, il y aurait une chance sur quatre pour que ce qui a été détecté soit « autre chose ».
En gros, pour résumer : deux « événements » ont été captés par les détecteurs ultra-sensibles installés au fond d’une ancienne mine de fer du Minnesota. L’annonce a été faite le 17 décembre, conjointement par deux laboratoires américains. La confirmation pourrait attendre quelques mois.
Qu’entendent-ils par « événement »? C’est une particule de matière sombre qui entre en collision avec une particule connue —et c’est l’énergie dégagée par cette collision qui, pendant une minuscule fraction de seconde, laisse une trace sur les détecteurs, au fond de cette mine. Deux traces ont été découvertes… en deux ans.
Signalons que des chercheurs européens prétendent eux aussi avoir détecté un tel « événement », sous la frontière franco-italienne.
Il faut dire que si cette annonce se confirme —et la rumeur courait depuis deux semaines sur des blogues de science— ce sera l’aboutissement de pas moins de 75 années de débats. C’est plus précisément depuis 1933 qu’on évoque l’existence d’une forme de matière qui imprégnerait le cosmos, mais qu’on se contente d’appeler « matière sombre » parce qu’on n’a aucune idée de ce qui la constitue.
Et au cours des 30 dernières années, il est apparu que cette matière sombre représentait jusqu’à 25% de la masse totale de l’Univers : les astrophysiciens arrivent à cette conclusion étonnante en additionnant la masse de tout ce qu’on peut voir dans une galaxie —les étoiles, les nuages de gaz et de poussières— et en constatant que la force gravitationnelle de tout cela ne suffit pas à expliquer qu’une galaxie « tienne » d’un bloc. Autrement dit, pour expliquer une galaxie, ainsi que les déplacements des galaxies les unes par rapport aux autres, il manque 25% de la masse dans leurs calculs.
Et encore, on ne vous a pas parlé de l’énergie sombre, qui, elle représenterait plus de la moitié de la masse de l’univers (et n’a rien à voir avec la nouvelle dont il est question ici!).
Ces deux « événements », s’ils se confirment, ne nous diront rien de plus sur ce qu’est cette matière sombre. Mais le véritable impact est psychologique, s’il faut en croire les réactions publiées depuis jeudi. Dans The Guardian, Gerry Gilmore, de l’Institut d’astronomie de l’Université Cambridge : « cela montre que nous sommes au bord d’une toute nouvelle sorte de physique ». Dans le New York Times, Gordon Kane, de l’Université du Michigan : l’atmosphère dans un congrès en cours, où les rumeurs allaient bon train, approcherait « l’hystérie ».
Comment savent-ils que c’est de la matière sombre?
Mais comment sait-on que ce qui a été détecté au Minnesota est bien une particule de matière sombre, plutôt qu’une particule « banale », comme le neutrino? Eh bien… On n’en est pas entièrement sûr, concède Dan Bauer, directeur du consortium de laboratoires, le Cryogenic Dark Matter Search : il y a une chance sur quatre pour que le résultat soit dû à « autre chose », y compris une erreur des instruments.
Si elle est à ce point abondante, ne pourrait-on pas voir des « nuages » de matière sombre quand ils passent devant une étoile?
Si de tels « nuages » existaient, on en aurait effectivement observé depuis longtemps. La forme que prend la matière sombre est encore inconnue. Toutefois, l’an dernier, le télescope spatial Hubble a photographié ce que d’aucuns considèrent être une preuve indirecte : un halo autour d’une lointaine galaxie, qui serait causé par des grumeaux de matière sombre assez massifs pour légèrement détourner la lumière des étoiles. Et en 2007, l’astronome britannique Richard Massey, à l’Institut de technologie de Californie, avait publié la première carte 3-D de la façon dont on croit la matière sombre distribuée autour des galaxies.
Pourquoi faut-il installer des détecteurs sous terre?
Parce que les particules de matière sombre n’interagissent pas avec la matière. Elles passent au travers sans laisser de traces. À l’occasion, très, très, très rarement, l’une d’elles entrera en collision —mais pour réduire le risque de confusion avec les collisions qui se produisent continuellement entre « nos » particules et des particules « normales » venues de l’espace, il faut s’installer à un kilomètre de profondeur. Et attendre un énorme coup de chance.
Source : Pascal Lapointe – ASP
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