Les sursauts gamma sont parmi les événements les plus énergétiques de l’Univers, mais certains apparaissent curieusement très faibles dans la lumière visible. La plus importante étude menée jusqu’à présent de ces phénomènes appelés « sursauts gamma sombres », en utilisant l’instrument GROND sur le télescope MPG/ESO de 2,2 mètres de l’Observatoire de La Silla au Chili, a permis de découvrir que ces explosions gigantesques ne nécessitaient pas d’explications exotiques. Leur faible luminosité est maintenant expliquée dans sa globalité par une combinaison de causes, dont la plus importante est la présence de poussière entre la Terre et l’explosion.
Les sursauts gamma (GRBs pour Gamma-ray bursts en anglais), qui sont des événements de courte durée allant de moins d’une seconde à plusieurs minutes, sont détectés par des observatoires en orbite capables de capter leurs radiations de haute énergie. Toutefois, il y a treize ans, des astronomes ont découvert une émission de radiations moins énergétiques et de plus longue durée provenant de ces violentes explosions et pouvant durer des semaines voire des années après l’explosion initiale. Les astronomes appellent cela la lueur rémanente du sursaut gamma.
Alors que tous les sursauts gamma [1] ont des lueurs rémanentes émettant des rayons X, seule la moitié d’entre eux a été observée émettant de la lumière visible, l’autre moitié demeurant mystérieusement sombre. Quelques astronomes suspectaient que ces phénomènes de lueurs rémanentes sombres pourraient être des spécimens d’une toute nouvelle catégorie de sursauts gamma, alors que d’autres pensaient qu’ils devaient tout simplement se situer à de très grandes distances. Des études précédentes ont suggéré que de la poussière absorbante située entre le sursaut gamma et la Terre pouvait également expliquer pourquoi ils étaient si faibles.
“ Étudier les lueurs rémanentes est essentiel pour faire progresser notre compréhension des objets qui deviennent des sursauts gamma et ce qu’ils nous apprennent sur la formation des étoiles dans l’Univers jeune” précise le premier auteur de cette étude Jochen Greiner, du Max-Planck Institute for Extraterrestrial Physics à Garching bei München en Allemagne.
La NASA a lancé le satellite Swift à la fin 2004. Depuis son orbite au-dessus de l’atmosphère terrestre, il peut détecter les sursauts gamma et indiquer immédiatement leurs positions à d’autres observatoires afin que les lueurs rémanentes puissent être étudiées. Dans la nouvelle étude, les astronomes ont combiné les données de Swift avec les nouvelles observations réalisées avec GROND [2] – un instrument d’observation dédié au suivi des sursauts gamma, installé au foyer du télescope MPG/ESO de 2,2 mètres à La Silla au Chili. De cette manière, les astronomes ont résolu de manière probante le puzzle de la lueur rémanente manquante en lumière visible.
GROND est vraiment très intéressant pour étudier les lueurs rémanentes, car son temps de réponse est très rapide. Il peut observer un sursaut dans les minutes qui suivent une alerte donnée par Swift en utilisant un système spécial appelé « Mode de réponse rapide »- et, de plus, il est capable d’observer simultanément au travers de sept filtres couvrant à la fois le domaine visible et proche infrarouge du spectre.
En combinant les données de GROND, prises à travers ces sept filtres, avec les observations de Swift, les astronomes ont été capables de déterminer avec précision la quantité de lumière émise par la lueur rémanente à des longueurs d’onde radicalement différentes, allant des rayons X de hautes énergies au proche infrarouge. Les astronomes ont utilisé cette information pour mesurer précisément la quantité de poussière absorbante au travers de laquelle la lumière passe sur son trajet vers la Terre. Auparavant, les astronomes devaient se contenter d’une estimation approximative du contenu de poussière [3].
Les chercheurs de cette équipe ont utilisé un éventail de données, incluant leurs propres mesures faites avec GROND, en complément d’observations réalisées avec d’autres télescopes dont le VLT de l’ESO, afin d’estimer la distance de pratiquement tous les sursauts de leur échantillon. Alors qu’ils ont trouvé qu’une proportion significative des sursauts est affaiblie de 60 à 80 pour cent par rapport à l’intensité originelle par la poussière absorbante, cet effet est accentué pour les sursauts très distants, ne laissant plus voir que 30 à 50 pour cent de la lumière [4] à l’observateur. Les astronomes en ont déduit que la plupart des sursauts gamma sombres sont donc simplement ceux dont la petite quantité de lumière visible est complètement absorbée avant de nous atteindre.
« Comparé à de nombreux instruments installés sur de grands télescopes, GROND est un instrument bon marché et relativement simple. Il a déjà été capable de résoudre de façon concluante le mystère qui entourait les sursauts gamma sombres, » déclare Jochen Greiner.
Notes
[1] Les sursauts gamma durant plus de deux secondes sont considérés comme de longs sursauts et ceux d’une durée moindre comme des sursauts courts. Les sursauts longs, qui ont été observés dans cette étude, sont associés aux explosions en supernova de jeunes étoiles massives dans des galaxies en pleine formation d’étoiles. Les sursauts courts ne sont pas bien compris, mais l’on suppose qu’ils émanent de la fusion de deux objets compacts comme des étoiles à neutrons.
[2] GROND, pour Gamma-Ray Optical and Near-infrared Detector, a été conçu et fabriqué au Max-Planck Institute for Extraterrestrial Physics en collaboration avec le Tautenburg Observatory. Il est totalement opérationnel depuis août 2007.
[3] D’autres études relatives aux sursauts gamma sombres ont été publiées. Au début de l’année, des astronomes ont utilisé le télescope Subaru pour observer un seul sursaut gamma, à partir duquel ils ont supposé que les sursauts gamma sombres pouvaient en fait être une sous-classe à part, se formant à travers d’autres mécanismes, tels que la fusion d’étoiles binaires. Dans une autre étude publiée l’année dernière en utilisant le télescope Keck, des astronomes ont étudié les galaxies hôtes de 14 GRBs sombres et en se basant sur les faibles redshifts mesurés ils en ont déduit que la poussière était probablement le mécanisme créant les sursauts sombres. Dans la nouvelle étude présentée ici, 39 GRBs ont été étudiés dont pratiquement 20 sursauts sombres. C’est la seule étude dans laquelle aucune hypothèse préalable n’a été faite et pour laquelle la quantité de poussière a été mesurée directement.
[4] Du fait que la lumière rémanente des sursauts très lointains est décalée vers le rouge par l’expansion de l’Univers, la lumière émise par l’objet était à l’origine plus bleue que celle que nous détectons quand elle arrive sur Terre. Puisque la réduction de l’intensité lumineuse par la poussière est plus importante pour la lumière bleue et ultraviolette que pour la lumière rouge, cela signifie que l’ensemble de l’effet affaiblissant de la poussière est plus important pour les sursauts gamma les plus distants. C’est la raison pour laquelle la capacité de GROND à observer le rayonnement proche infrarouge fait une telle différence.
Plus d’informations
Cette recherche est présentée dans un article publié dans le journal Astronomy & Astrophysics du 16 décembre 2010.
L’équipe est composée de : J. Greiner (Max-Planck-Institut für extraterrestrische Physik [MPE], Allemagne), T. Krühler (MPE, Universe Cluster, Technische Universität München), S. Klose (Thüringer Landessternwarte, Allemagne), P. Afonso (MPE), C. Clemens (MPE), R. Filgas (MPE), D.H. Hartmann (Clemson University, USA), A. Küpcü Yolda?¸ (University of Cambridge, Royaume Uni), M. Nardini (MPE), F. Olivares E. (MPE), A. Rau (MPE), A. Rossi (Thüringer Landessternwarte, Allemagne), P. Schady (MPE), et A. Updike (Clemson University, USA)
L’ESO – l’Observatoire Européen Austral – est la première organisation intergouvernementale pour l’astronomie en Europe et l’observatoire astronomique le plus productif au monde. L’ESO est soutenu par 14 pays : l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, le Danemark, l’Espagne, la Finlande, la France, l’Italie, les Pays-Bas, le Portugal, la République Tchèque, le Royaume-Uni, la Suède et la Suisse. L’ESO conduit d’ambitieux programmes pour la conception, la construction et la gestion de puissants équipements pour l’astronomie au sol qui permettent aux astronomes de faire d’importantes découvertes scientifiques. L’ESO joue également un rôle de leader dans la promotion et l’organisation de la coopération dans le domaine de la recherche en astronomie. L’ESO gère trois sites d’observation uniques, de classe internationale, au Chili : La Silla, Paranal et Chajnantor. À Paranal, l’ESO exploite le VLT « Very Large Telescope », l’observatoire astronomique observant dans le visible le plus avancé au monde et VISTA, le plus grand télescope pour les grands relevés. L’ESO est le partenaire européen d’ALMA, un télescope astronomique révolutionnaire. ALMA est le plus grand projet astronomique en cours de réalisation. L’ESO est actuellement en train de programmer la réalisation d’un télescope européen géant – l’E-ELT- qui disposera d’un miroir primaire de 42 mètres de diamètre et observera dans le visible et le proche infrarouge. L’E-ELT sera « l’œil tourné vers le ciel » le plus grand au monde.
Liens
- La publication scientifique dans A&A
- Le site web de GROND
- Photos de La Silla
Source: ESO
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