Le télescope spatial Herschel de l’Agence spatiale européenne (ESA) a livré aux astrophysiciens des images inédites de réseaux de filaments interstellaires, au sein desquels se formerait la majorité des étoiles. En recoupant ces observations avec des modèles théoriques, les chercheurs ont pu caractériser précisément ces filaments, une nouvelle avancée pour comprendre où et comment naissent des étoiles. Ces travaux d’une équipe internationale coordonnée par le laboratoire AIM Paris Saclay (1) (CEA-Irfu, CNRS, Université Paris Diderot) sont publiés en ligne dans Astronomy and Astrophysics le 13 avril.
Herschel est l’observatoire spatial de l’ESA dans le domaine spectral de l’infrarouge et du submillimétrique, une gamme de lumière privilégiée pour observer la naissance des étoiles dans certains nuages interstellaires proches comme IC5146, Aquila et Polaris. Avant Herschel, des observations dans l’infrarouge avaient montré la présence de gigantesques réseaux de filaments de gaz dans ces nuages interstellaires. Herschel a été encore plus loin : il a démontré que la formation des étoiles a lieu principalement dans les plus denses d’entre eux. Un filament imagé dans le complexe d’Aquila contient, par exemple, un amas d’environ 100 étoiles en formation.
Le pouvoir de résolution du télescope Herschel permet aux scientifiques d’en mesurer précisément les dimensions. Chaque filament peut s’étendre sur des dizaines d’années lumière dans l’espace. « Curieusement, on remarque aujourd’hui que chaque filament est de la même largeur », remarque Doris Arzoumanian, du laboratoire AIM, « et ce quelle que soit la densité et la longueur de chaque filament, c’est une vraie surprise. » Les chercheurs ont analysé 90 filaments et ont constaté qu’ils s’étalaient tous sur une bande de près de 0,3 années-lumière. Petite dans le milieu interstellaire, cela reste une largeur énorme correspondant à environ 20.000 fois la distance de la Terre au Soleil.
Quel sens donner à ces mesures ?
La comparaison des observations avec des modèles théoriques laisse penser que les filaments résulteraient de ce qu’on appelle la turbulence interstellaire. Celle-ci correspond à des mouvements de gaz désordonnés se propageant dans les nuages interstellaires. Les chercheurs s’interrogent encore sur l’origine de cette turbulence ; celle-ci ferait suite aux explosions d’étoiles massives – ou supernovae. Ces mouvements de gaz désordonnés ont lieu à des vitesses supersoniques (2). A l’image du ‘bang’ d’un avion passant le mur du son, ils produiraient donc des chocs qui compriment la matière interstellaire, jusqu’à transformer celle-ci en des filaments plus denses que leur milieu environnant.
Lorsqu’on observe ces nuages interstellaires à grande échelle, les vitesses des turbulences sont élevées, supersoniques. En revanche, si on cible les observations sur de petites régions interstellaires, les vitesses sont plus faibles, jusqu’à devenir inférieures au mur du son. « La largeur observée des filaments correspondrait à l’échelle intermédiaire où les mouvements turbulents sont proches de la vitesse du son », explique Philippe André, coordinateur du programme « Ceinture de Gould ». « Ce n’est pas une preuve directe mais un indice très fort quant à la connexion entre la turbulence interstellaire et l’origine des filaments vus par Herschel. »
Ce lien a été établi grâce à l’étude de trois nuages parmi les plus proches, connus sous les noms IC5146, Aquila et Polaris, dans le cadre d’un programme nommé « Relevé des nuages de la ceinture de Gould » mené par une collaboration internationale étudiant la formation stellaire au sein du consortium SPIRE d’Herschel. Les images résultent d’observations réalisées avec les instruments SPIRE et PACS sur Herschel, deux instruments pour lesquels le CEA a fortement contribué avec le CNES ainsi que le CNRS.
Plus d’informations :
– Le site du programme « Ceinture de Gould Belt » :http://gouldbelt-herschel.cea.fr
– Le site Herschel France : http://www.herschel.fr
Notes :
(1) AIM : Laboratoire d’Astrophysique, Instrumentation – Modélisation, de Paris Saclay (CEA-Irfu, CNRS, Université Paris Diderot).
(2) Dans le milieu interstellaire froid (-260°C), la vitesse sonique est de l’ordre de 0,2 km/s – dans notre atmosphère, la vitesse sonique est de 0,34 km/s.
Références :
Arzoumanian, D., Ph. André, Ph., Didelon, P. et al., A&A 529, L6 “Characterizing interstellar filaments with Herschel in IC5146”, A&A, 529, L6 (2011),DOI: 10.1051/0004-6361/201116596
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Source : communiqué de presse du CNRS
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