Pour la première fois, des astronomes ont réalisé des mesures directes de la taille et de la luminosité de régions où naissent les étoiles dans une galaxie très lointaine, grâce à une découverte fortuite avec le télescope APEX. Cette galaxie est si lointaine et sa lumière a mis tellement de temps à nous parvenir, que nous la voyons telle qu’elle était il y a 10 milliards d’années. Une lentille gravitationnelle cosmique grossit cette galaxie, nous en donnant une vue en gros plan impossible à obtenir autrement. Ce phénomène chanceux révèle une trépidante et vigoureuse activité de formation d’étoiles dans les galaxies de l’Univers jeune avec des nurseries stellaires se formant cent fois plus rapidement que dans les galaxies plus récentes. Cette recherche est publiée en ligne aujourd’hui dans le journal Nature.
Des astronomes étaient en train d’observer un amas massif de galaxies [1] avec le télescope APEX (Atacama Pathfinder Experiment), utilisant les longueurs d’onde submillimétriques, quand ils ont découvert une nouvelle galaxie d’une luminosité peu commune, plus éloignée que l’amas. C’est la galaxie très lointaine la plus lumineuse jamais observée dans les ondes submillimétriques. Elle est si lumineuse parce que les grains de poussière cosmique de la galaxie rayonnent après avoir été chauffés par le rayonnement des étoiles. Cette nouvelle galaxie a été nommée SMM J2135-0102.
«Nous avons été stupéfaits de trouver un objet étonnamment lumineux qui n’était pas à l’endroit attendu. Nous avons vite réalisé qu’il s’agissait une galaxie plus distante et inconnue jusqu’à présent, grossie par l’amas de galaxies plus proche » déclare Carlos De Breuk de l’ESO, un des membres de l’équipe. Carlos De Breuk était en train d’observer avec le télescope APEX sur le plateau de Chajnantor à une altitude de 5000 mètres dans les Andes chiliennes.
Cette nouvelle galaxie SMM J2135-0102 est lumineuse à ce point du fait de l’amas massif de galaxies situé au premier plan. L’énorme masse de cet amas courbe la lumière de la galaxie plus distante, agissant comme une lentille gravitationnelle [2]. Comme avec un télescope, il grossit et éclaircit notre vision de la galaxie lointaine. Grâce à un alignement fortuit de l’amas et de la galaxie lointaine, cette dernière est fortement grossie, d’un facteur 32.
« Le grossissement dévoile cette galaxie avec des détails jamais obtenus précédemment, même si elle est si éloignée qu’il a fallu environ 10 milliards d’années à sa lumière pour nous atteindre, » explique Mark Swinbank de l’Université de Durham, premier auteur de l’article présentant cette découverte. « Grâce à des observations renouvelées avec le télescope Submillimeter Array, nous avons été capables d’étudier avec une grande précision les nuages où les étoiles se forment dans la galaxie. »
Ce grossissement signifie que la formation stellaire peut être identifiée dans la galaxie, jusqu’à une échelle de seulement quelques années-lumière – pratiquement en dessous de la taille des nuages géants de la Voie Lactée. Pour voir ce niveau de détail sans l’aide de la lentille gravitationnelle, il faudrait de futurs télescopes comme ALMA (Atacama Large Millimeter/submillimeter Array), qui est actuellement en construction sur le même plateau qu’APEX. Cette découverte fortuite a donc déjà donné un aperçu aux astronomes de la science qu’il sera possible de faire d’ici quelques années.
Ces « fabriques d’étoiles » ont une taille semblable à celles que l’on trouve dans la Voie Lactée, mais elles sont cent fois plus lumineuses, laissant penser que la formation stellaire dans les premiers temps de la vie de ces galaxies est un processus beaucoup plus vigoureux que celui que l’on trouve habituellement dans les galaxies situées plus près de nous dans le temps et dans l’espace. Par de nombreux points, ces nuages ressemblent plus aux cœurs les plus denses des nuages de formation stellaire de notre Univers proche.
«Nous estimons que SMM J2135-0102 produit des étoiles à un taux équivalent à environ 250 Soleils par an, » déclare Carlos De Breuk. « La formation stellaire dans ses grands nuages de poussière est différente de celle que l’on voit dans notre Univers proche, mais nos observations suggèrent également que nous devrions être capables d’utiliser une physique sous-jacente similaire pour les nurseries stellaires les plus denses des galaxies proches afin de comprendre la naissance des étoiles dans ces galaxies plus lointaines. »
Notas
[1]Les amas de galaxies sont parmi les objets les plus massifs de l’Univers, assemblés et maintenus par la gravité. Ils comprennent des centaines à des milliers de galaxies qui à peine un dixième de leur masse totale. La majeure partie de leur masse, qui s’élève jusqu’à un million de milliards [1015] de fois la masse de notre Soleil, est composée de gaz chaud et de matière noire. Dans le cas de cette étude, l’amas observé est désigné par MACS J2135-010217 (ou MACS J213512.10-010258.5) et se situe à environ quatre milliards d’années-lumière.
[2] L’effet de lentille gravitationnelle est prévu par la théorie de la relativité générale d’Albert Einstein. Du fait de leur masse extrêmement importante et de leur emplacement intermédiaire entre nous et les galaxies très distantes, les amas de galaxies agissent comme des lentilles gravitationnelles très performantes, courbant la lumière en provenance des galaxies situées en arrière-plan. Selon la répartition de la masse de l’amas, de nombreux effets très intéressants se produisent, tels que l’amplification de luminosité, des distorsions, des arcs géants et une multitude d’images de la même source.
Plus d’informations
Cette recherche est présentée dans un article, “Intense star formation within resolved compact regions in a galaxy at z=2.3” (A. M. Swinbank et al.) diffusé en ligne aujourd’hui dans Nature et dans la magazine le 1er avril 2010.
L’équipe est composée de A. M. Swinbank, I. Smail, J. Richard, A. C. Edge, et K. E. K. Coppin (Institute for Computational Cosmology, Durham University, Royaume Uni), S. Longmore, R. Blundell, M. Gurwell, et D. Wilner (Harvard-Smithsonian Center For Astrophysics, USA), A. I. Harris et L. J. Hainline (Department of Astronomy, University of Maryland, USA), A.J. Baker (Department of Physics and Astronomy, Rutgers, University of New Jersey, USA), C. De Breuck, A. Lundgren et G. Siringo (ESO), R. J. Ivison (UKATC et Royal Observatory of Edinburgh, Royaume Uni), P. Cox, M. Krips and R. Neri (Institut de Radio Astronomie Millimétrique, France), B. Siana (California Institute of Technology, USA), D. P. Stark (Institute of Astronomy, University of Cambridge, Royaume Uni) et J. D. Younger (Institute for Advanced Study, USA).
Le télescope APEX (Atacama Pathfinder Experiment) est un télescope de 12 mètres situé à 5100 mètres d’altitude sur le plateau aride de Chajnantor dans les Andes chiliennes. APEX observe dans les longueurs d’onde millimétrique et submillimétrique. Cette gamme de longueurs d’onde est une frontière relativement inexplorée en astronomie, car elle nécessite des détecteurs à la pointe de la technologie et un site d’observation extrêmement haut et sec, comme Chajnantor. APEX, le plus grand télescope submillimétrique exploité dans l’hémisphère sud, est une collaboration entre le Max Planck Institute for Radio Astronomy, l’Onsala Space Observatory et l’ESO. L’exploitation d’APEX à Chajnantor est confiée à l’ESO. APEX est un « éclaireur » pour ALMA – Il est basé sur une antenne prototype construite pour le projet ALMA, il est situé sur le même plateau et trouvera de nombreuses cibles qu’ALMA sera capable d’étudier de manière extrêmement détaillée.
L’ESO – l’Observatoire Européen Austral – est la première organisation intergouvernementale pour l’astronomie en Europe et l’observatoire astronomique le plus productif au monde. L’ESO est soutenu par 14 pays : l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, le Danemark, l’Espagne, la Finlande, la France, l’Italie, les Pays-Bas, le Portugal, la République Tchèque, le Royaume-Uni, la Suède et la Suisse. L’ESO conduit d’ambitieux programmes pour la conception, la construction et la gestion de puissants équipements pour l’astronomie au sol qui permettent aux astronomes de faire d’importantes découvertes scientifiques. L’ESO joue également un rôle de leader dans la promotion et l’organisation de la coopération dans le domaine de la recherche en astronomie. L’ESO gère trois sites d’observation uniques, de classe internationale, au Chili : La Silla, Paranal et Chajnantor. A Paranal, l’ESO exploite le VLT « Very Large Telescope », l’observatoire astronomique observant dans le visible le plus avancé au monde et VISTA, le plus grand télescope pour les grands relevés. L’ESO est le partenaire européen d’ALMA, un télescope astronomique révolutionnaire. ALMA est le plus grand projet astronomique en cours de réalisation. L’ESO est actuellement en train de programmer la réalisation d’un télescope européen géant – l’E-ELT- qui disposera d’un miroir primaire de 42 mètres de diamètre et observera dans le visible et le proche infrarouge. L’E-ELT sera « l’œil tourné vers le ciel » le plus grand au monde.
Liens
- L’article scientifique (preprint)
- Plus d’information sur APEX
Source: ESO
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