Comment les utriculaires, ces plantes carnivores aquatiques couramment rencontrées dans les marais arrivent-elles à capturer leurs proies en moins d’une milliseconde ? Une équipe de physiciens du Laboratoire Interdisciplinaire de Physique (CNRS/Université Joseph Fourier Grenoble 1) vient d’identifier l’ingénieux processus mécanique qui permet à la plante de prendre au piège tous les petits animaux aquatiques un peu trop curieux qui s’en approcheraient. C’est l’inversion de sa courbure et la libération de l’énergie élastique associée qui sont à l’origine du piège aquatique le plus rapide que l’on connaisse. Ces résultats sont publiés le 16 février 2011 sur le site de la revue Proceedings of the Royal Society of London B.
Les utriculaires sont des plantes carnivores qui capturent de petites proies au moyen de remarquables pièges à aspiration. Ne possédant pas de racines, elles sont constituées de feuilles filiformes et fourchues sur lesquelles sont fixés les pièges en forme d’outre, de quelques millimètres seulement. Seules les fleurs sortent de l’eau, montées sur de longues tiges. Les pièges sont sous la surface. Lorsqu’un animal aquatique (puce d’eau, cyclopes, daphnies, ou petites larves de moustique) touche ses poils sensitifs, le piège l’aspire en une fraction de seconde ainsi que l’eau qui sera ensuite évacuée par les parois.
Pour comprendre le processus mécanique impliqué, les chercheurs ont observé et enregistré avec une caméra haute cadence les mouvements extrêmement rapides de la phase de capture. Les chercheurs montrent qu’il existe une phase de « flambage » de la porte du piège qui inverse sa courbure et lui permet de s’ouvrir et de se refermer très rapidement, emprisonnant ainsi sa proie. Le temps d’aspiration (moins d’une milliseconde) est bien plus court que ce qui était supposé auparavant.
Quel est précisément le fonctionnement mécanique de ce piège implacable ? Tout d’abord le piège se prépare : en quelques heures, la plante pompe lentement le liquide intérieur vers l’extérieur, ce qui met le piège en sous-pression. Pendant cette phase d’armement, de l’énergie élastique est stockée dans les parois du piège. Celui-ci est alors tendu, prêt à se refermer sur sa proie. Le moindre toucher d’un poil sensitif situé sur la porte déclenche son ouverture. L’ouverture commence par le « flambage » de la porte, c’est à dire un changement soudain de forme. La porte agit donc comme une valve élastique : initialement bombée vers l’extérieur, elle se retourne brutalement vers l’intérieur, inversant sa courbure. La libération de l’énergie élastique stockée dans les parois du piège crée alors un tourbillon d’aspiration, avec des accélérations allant jusqu’à 600 g (1), laissant peu de chances d’évasion à la proie qui a déclenché le mécanisme. Puis, très vite, la porte s’inverse à nouveau et reprend sa forme initiale. Le piège est alors hermétiquement refermé sur sa proie qui sera dissoute par les enzymes digestives de la plante, lui apportant de précieux nutriments. Jusqu’à sa prochaine capture… Ces résultats observés par caméra haute cadence ont par ailleurs été confirmés par les simulations numériques des chercheurs, faisant l’objet d’une seconde publication dans Physical Review E.
Pour voir le film: http://www-lsp.ujf-grenoble.fr/equipe/dyfcom/marmottant/
Notes :
(1) 600 fois l’accélération de la chute libre. 1g est la constante d’accélération due à la gravité terrestre. L’homme par exemple ne peut pas survivre à un choc de plus de 20 g.
Références :
Ces travaux seront publiés dans Proceedings of the Royal Society of London B (Biological sciences) sous presse (2011), « Ultrafast underwater suction traps » O. Vincent, C. Weißkopf, S. Poppinga, T. Masselter, T.
Speck, M. Joyeux, C. Quilliet and P. Marmottant.
Le modèle numérique du piège sera publié dans Physical Review E, sous presse (2011) « Mechanical model of the ultra-fast underwater trap of Utricularia » par M. Joyeux, O. Vincent and P. Marmottant (ce dernier preprint est téléchargeable sur Consulter le site web).
Source: communiqué de presse du CNRS
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