Le cerveau humain est encore très loin d’avoir livré tous ses secrets. Une adolescente croate de 13 ans, hospitalisée à l’hôpital de Split mi-avril, a perdu conscience durant vingt-quatre heures pour se réveiller, en parlant couramment allemand. Ce qui a stupéfié son entourage et l’équipe médicale. La collégienne venait tout juste de débuter l’apprentissage de la langue de Goethe à l’école. Elle cherchait à l’assimiler rapidement en lisant des ouvrages ou en regardant la télévision allemande.
« Depuis, elle ne communique qu’en allemand et pas en croate même si elle le comprend. Elle répond à toutes les questions dans un allemand trop riche pour une fille de son âge et de son niveau d’instruction », selon plusieurs soignants cités, sous couvert d’anonymat, par le journal croate Slobodna Dalmacija. « Après une perte de conscience ou un coma, on ne sait jamais comment le cerveau va réagir et ce qui va s’activer en premier. Mais, elle commence à parler croate, maintenant », a déclaré il y a quelques jours à la presse locale Dujomir Marasovic. Depuis, le directeur de l’établissement refuse de s’exprimer publiquement sur le sujet évoquant la protection du secret médical.
« COMME UN MAGNÉTOPHONE »
Ce cas suscite interrogation et perplexité chez les spécialistes. Ils admettent, seulement, connaître le phénomène de patients qui se réveillent du coma en parlant une langue apprise plutôt que leur langue maternelle. « C’est rare mais cela arrive. En vingt ans de carrière, j’ai soigné cinq patients français qui se sont réveillés en parlant anglais », raconte Philippe Azouri, neurologue à l’hôpital de Garches, en région parisienne. Il suffit que la zone qui s’active lorsque le sujet utilise sa langue maternelle soit endommagée, pour qu’une autre région du cerveau, utilisée lorsque le sujet parle une langue apprise, prenne le relais.
Et l’adolescente croate a bien dû apprendre l’allemand même sans en avoir conscience, selon Mijo Milas, neuropsychiatre et expert judiciaire à Split : « Son cerveau a, sans doute, ingurgité davantage de connaissances en allemand que ce qui apparaissait à la surface. Elle a dû assimiler, un peu comme un magnétophone en mode enregistrement, davantage que ce qu’elle avait été capable de reproduire consciemment. »
Loin d’être un « miracle », ce cas pourrait simplement illustrer l’existence de capacité d’apprentissage non-consciente. Les scientifiques, qui commencent à s’y intéresser, se sont méfiés longtemps du phénomène. Aujourd’hui, ils admettent que ce n’est pas de la science-fiction mais une réalité. Ce qui n’étonne qu’à moitié Henriette Walter, linguiste réputée. « Un de mes anciens étudiants avait entendu sa famille parler le dialecte breton toute son enfance. Lui avait interdiction de le faire et devait s’exprimer exclusivement en français. Pourtant, à 24 ans, il s’est mis à parler couramment breton. »
ÎLOTS DE « CAPACITÉ COGNITIVE »
Des études récentes ont montré que la perception, la mémorisation et l’utilisation des informations qui parviennent du monde extérieur, sont en grande partie effectuées de manière non-consciente. « Pour le flux permanent d’informations que nous traitons en permanence, l’accès à la conscience est plus une exception qu’une règle », analyse Stein Silva, chercheur en neurologie à l’Inserm de Toulouse. « Je prendrais un exemple de la vie courante : la conduite automobile. Une quantité importante d’informations visuelles sont perçues et intégrées pour permettre la mise en place de comportements automatiques, en dehors de la focalisation de l’attention et de l’émergence des processus conscients. »
Autre exemple : des études sur la perception des visages ont montré que le cerveau humain est capable de détecter les états d’âme des personnes rencontrées. « Si je pénètre dans une pièce en percevant sans en être conscient l’hostilité que je suscite, j’adopte mon comportement en fonction », poursuit M. Silva. Le chercheur explique que la mémoire et l’apprentissage sont en partie dissociés du niveau de conscience. Son équipe vient de prouver que même le cerveau des patients dans le coma, est loin d’être au repos. Des îlots de « capacité cognitive » continuent d’exister.
Certains peuvent percevoir des sons, des mots ou des phrases donc poursuivre un processus d’apprentissage. Le développement des nouvelles technologies devraient permettre aux chercheurs, dans les années qui viennent, de mieux comprendre les capacités fonctionnelles du cerveau humain.
Source: Mersiha Nezic – Le Monde
Laisser un commentaire