Comment les horloges biologiques peuvent-elles se synchroniser avec précision au cycle jour/nuit sans tenir compte des fluctuations extrêmes d’éclairement au cours d’une même journée et d’un jour à l’autre ? L’analyse mathématique des profils d’activité de deux gènes centraux de l’horloge biologique d’une algue verte microscopique vient d’être réalisée par des chercheurs de l’Observatoire océanologique de Banyuls (CNRS/UPMC), du Laboratoire de physique des lasers, atomes, molécules (CNRS/Université Lille 1) et de l’Institut de recherche interdisciplinaire (CNRS/ Universités Lille 1 et 2). Cette étude révèle que l’horloge biologique n’est sensible à l’éclairement que si elle se trouve décalée et doit être remise à l’heure. Ces travaux viennent d’être publiés dans la revue PloS Computational Biology.
L’alternance jour/nuit induit des variations périodiques de l’environnement (lumière, température) que la plupart des organismes vivants, dont l’homme, anticipent grâce à une horloge interne dite circadienne. Ces horloges tournent sur une période proche des 24 heures que dure le cycle lumière/obscurité. Les rouages de ces horloges sont des gènes qui interagissent afin de moduler réciproquement leur activité : par exemple, un gène « A » produit des protéines qui activent un gène « B », qui produit à son tour des protéines qui quand elles sont actives, inactivent le gène « A », et ainsi de suite. L’activité de ces gènes oscille ainsi spontanément, avec une période proche des 24 heures. Dans la cellule, on peut ainsi avoir une indication de l’heure qu’il est en mesurant la concentration de ces protéines et donc leur activité.
Pour que cette oscillation biochimique soit calée sur le cycle jour/nuit, cela suppose que l’un des acteurs moléculaires, au moins, soit sensible à la lumière. Et ce d’autant plus que les moments clés que sont le lever du jour et la tombée de la nuit varient tout au long de l’année. Certaines protéines sont par exemple dégradées plus rapidement le soir, d’autres produites plus activement le matin. Or, l’éclairement solaire peut fluctuer fortement d’un jour à l’autre ou même dans une journée, en fonction de la couverture nuageuse. Ces variations devraient donc décaler l’horloge aléatoirement, la rendant inopérante… Une collaboration entre des biologistes et des physiciens vient de mettre en évidence un mécanisme simple qui résout ce mystère.
Des chercheurs de l’Observatoire océanologique de Banyuls (CNRS/UPMC) ont analysé l’horloge biologique de l’algue verte unicellulaire Ostreococcus tauri (1) dont les propriétés principales peuvent être expliquées par un oscillateur à deux gènes. Ils ont mesuré l’activité de ces deux gènes et des protéines qu’ils produisent à intervalles réguliers (toutes les deux/trois heures) pendant 24 heures. Les chercheurs du Laboratoire de physique des lasers, atomes, molécules (CNRS/Université Lille 1) et de l’Institut de recherche interdisciplinaire (CNRS/Universités Lille 1 et 2) ont ensuite construit des modèles mathématiques pour essayer de reproduire les courbes d’activité obtenues. Le modèle le plus simple colle parfaitement aux données : les deux gènes se régulent réciproquement et constituent un oscillateur qui se cale précisément sur le cycle d’éclairement, auquel il doit donc être sensible.
Mais paradoxalement, ce modèle mathématique n’est couplé que de manière exceptionnelle à la lumière : l’étude montre que le couplage à la lumière n’est activé qu’à certaines heures bien précises de la journée. En dehors de ces moments, la lumière n’a pas d’effet sur la synthèse et la dégradation des protéines mesurées, et donc sur leurs concentrations car l’information sur la luminosité ne parvient pas jusqu’à l’oscillateur. Mais ce n’est pas tout ! Le moment où le couplage est activé, tout au moins lorsque l’horloge est à l’heure, coïncide avec une période d’insensibilité de l’oscillateur aux perturbations externes. Ce dernier peut en effet être comparé à une balançoire qui est animée d’un mouvement périodique. En fonction du moment où l’on pousse cette balançoire, l’action peut soit ralentir le mouvement, soit l’accélérer, soit être sans aucun effet.
Grâce à ce minutage astucieux, l’horloge, lorsqu’elle est à l’heure, est aveugle au cycle jour/nuit, et donc aux fluctuations lumineuses liées à un épisode nuageux. En revanche, si l’horloge vient à se décaler (par exemple dans le cas d’un décalage horaire ou plus simplement par simple déréglage), le couplage à la lumière intervient dans une phase différente de l’oscillation, et peut alors agir sur l’oscillateur pour le remettre à l’heure. C’est donc un mécanisme dynamique simple qui explique la robustesse observée dans les horloges biologiques.
Les chercheurs vont désormais voir si ces résultats peuvent s’appliquer à toutes les horloges biologiques, notamment chez l’homme, où une quinzaine de gènes sont impliqués. Les modèles existants ne prennent pas en compte la fluctuation de la luminosité au cours de la journée et d’un jour à l’autre. En les soumettant à de telles perturbations, les scientifiques pourront tester la robustesse de ces modèles.
Notes :
(1) L’algue verte unicellulaire Ostreococcus tauri, découverte en 1994 dans l’étang de Thau, est le plus petit eucaryote connu et constitue un organisme « modèle ».
Références :
Robustness of circadian clocks to daylight fluctuations: hints from the picoeucaryote Ostreococcus tauri
Quentin Thommen1,2,3,4, Benjamin Pfeuty1,2,3,4, Pierre-Emmanuel Morant1,2,3,4,
Florence Corellou5,6, François-Yves Bouget5,6, Marc Lefranc1,2,3,4,?
1 Université Lille 1, Laboratoire de Physique des Lasers, Atomes, et Molécules, UFR de Physique, F-59655 Villeneuve d’Ascq, France
2 Centre National de la Recherche Scientifique, UMR 8523, F-59655 Villeneuve d’Ascq Cedex, France
3 Université Lille 1, Institut de Recherche Interdisciplinaire, F-59655 Villeneuve d’Ascq, France
4 Centre National de la Recherche Scientifique, USR 3078, F-59655 Villeneuve d’Ascq, France
5 Université Pierre and Marie Curie Paris 06, Laboratoire d’Océanographie Microbienne, Observatoire Océanologique, F-66651 Banyuls/Mer, France
6 Centre National de la Recherche Scientifique, Laboratoire d’Océanographie Microbienne, Observatoire Océanologique, F-66651 Banyuls/Mer, France
PLoS Computational Biology, 11 novembre 2010. Article disponible à l’adresse suivante : Consulter le site web
Source: communiqué de presse du CNRS
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