L’équipe de Jean-Louis Viovy (unité « Physicochimie Curie » Institut Curie/CNRS/UPMC) vient de mettre au point un « laboratoire sur puce » pour détecter et analyser les cellules tumorales dans des « micro-biopsies » de patients atteints de différents types de leucémies. Ces cellules, qui ont quitté la tumeur d’origine pour envahir d’autres sites, marquent le début d’une dissémination tumorale. Les repérer est une tâche délicate, mais essentielle pour évaluer les risques d’évolution d’un cancer.
Un très petit nombre de cellules tumorales suffit à ce prototype de détection par microfluidique, présenté dans PNAS, pour caractériser ces cellules et ainsi choisir le traitement le plus adapté. Les chercheurs et médecins de l’Institut Curie travaillent actuellement sur un système de nouvelle génération pour détecter, cette fois-ci, des cellules tumorales dans le sang.
Certaines tumeurs cancéreuses possèdent la capacité d’envahir d’autres tissus pour former des métastases. Cette propagation tumorale se déroule en plusieurs étapes. Après avoir perdu leur capacité d’adhérence avec les cellules voisines, les cellules tumorales s’échappent du tissu originel, atteignent un vaisseau sanguin ou lymphatique pour finalement s’installer dans d’autres tissus (ganglions lymphatiques, moelle osseuse, foie, etc.).
La présence de ces cellules tumorales isolées dans le sang (on parle alors de cellules tumorales circulantes ou CTC), dans les ganglions lymphatiques ou la moelle osseuse (on parle alors de cellules tumorales disséminées ou CTD) constitue un élément prédictif important de l’évolution de la maladie et de l’efficacité des traitements (voir encadré page suivante). Leur caractérisation peut donc aider au choix du traitement le mieux adapté pour prévenir le développement futur de métastases.
Repérer les cellules tumorales circulantes ou disséminées
Détecter les CTC ou les CTD peut s’apparenter à rechercher une aiguille dans une botte de foin car quelques cellules (voire même une seule !) peuvent conduire à une métastase, mais elles sont environnées par des millions de cellules normales. Heureusement, ces cellules possèdent certaines caractéristiques, par exemple des protéines à leur surface, qui les différencient des cellules saines environnantes. Elles peuvent ainsi être « attrapées » avec des anticorps spécifiques agissant comme des crochets. Reste à mettre au point un système pour accomplir cette recherche en routine et en toute fiabilité.
Dans le cadre du programme incitatif et coopératif (1) sur la maladie micrométastatique à l’Institut Curie, l’équipe de Jean-Louis Viovy (unité « Physicochimie Curie » Institut Curie/CNRS/UPMC) en collaboration avec le Nikon Imaging Centre @ Institut Curie-CNRS, la société Fluigent et des cliniciens de l’Institut Curie et de l’Institut Gustave-Roussy, a développé un « tamis à cellules » pour capturer et étudier les cellules tumorales, de façon automatisée et avec une grande spécificité. Nommé Ephesia, ce « laboratoire sur puce » à base de « microfluidique », tout comme les circuits intégrés en électronique, regroupe sur un support très réduit une multitude de processus automatisés et complexes. « Les laboratoires sur puce sont en plein essor en biologie et en médecine car ils sont plus rapides, plus précis et moins chers que les systèmes existants » ajoute le Pr Jean-Yves Pierga (2), oncologue médical à l’Institut Curie et co-responsable du PIC.
« Dans notre système, le « tamis à cellules » est constitué d’un réseau de colonnes formées de microbilles magnétiques portant des anticorps dirigés contre des protéines de surface des cellules tumorales, en l’occurrence la molécule CD19 » explique Jean-Louis Viovy. Cet anticorps capture les lymphocytes B qui peuvent être à l’origine de plusieurs types de lymphomes en cas de mutations anormales dans leur génome. « Les microbilles magnétiques forment des canaux microfluidiques dont les dimensions sont de l’ordre du micromètre, soit plus fin qu’un cheveu. Quelques microlitres d’échantillon nous suffisent ; ils peuvent être prélevés avec une micro-aiguille sous anesthésie locale, ce qui permet aux médecins d’éviter un acte chirurgical plus lourd » précise-t-il. Ce système a été comparé « en aveugle » aux méthodes conventionnelles sur divers échantillons provenant de patients atteints de leucémie : on a obtenu 100 % de concordance sur le diagnostic, à partir d’un nombre de cellules dix à cent fois plus faible. Une fois capturés par les microbilles, les lymphocytes B peuvent être observés par des microscopes haute résolution pour déterminer à quelle sous catégorie de leucémie ils correspondent et choisir le meilleur traitement.
« Ephesia est plus qu’un détecteur de cellules ; ce laboratoire sur puce permet d’étudier individuellement les cellules isolées de façon plus approfondie qu’auparavant » ajoute Jean-Louis Viovy. En effet, les cellules capturées peuvent être mises en culture pour étudier leur pouvoir de division, leur réponse à un médicament ou leur génome. L’identification des caractéristiques propres à ces cellules permettra de découvrir leurs points faibles vis-à-vis des traitements existants et de développer les nouvelles approches de « médecine personnalisée », dans lesquelles chaque patient est traité par un médicament ciblé sur les caractéristiques moléculaires de sa propre tumeur. Enfin à plus long terme, cette technique devrait permettre de découvrir des cibles encore inconnues, pour élaborer des médicaments nouveaux.
Notes :
(1) Les Programmes incitatifs et coopératifs (PIC) sont des programmes innovants associant médecins et chercheurs qui sont financés sur ressources propres par l’Institut Curie. Le PIC sur la maladie micrométastatique est notamment financé par l’association Courir pour la Vie, Courir pour Curie depuis 2009 et l’opération caritative de Charenton-le-Pont.
(2) Jean-Yves Pierga est professeur à l’Université Paris-Descartes.
(3) Les lymphomes constituent une part importante des leucémies.
(4) « Disseminated Tumor Cells of Breast Cancer Patients: A Strong Prognostic Factor for Distant and Local Relapse » FC. Bidard et coll. Clin. Cancer. Res. 11 juin 2008, vol. 14, p. 3306.
(5) L’essai Remagus 02 implique implique l’Institut Gustave-Roussy, l’Hôpital Saint-Louis et l’Institut Curie.
(6) « Circulating tumor cell detection predicts early metastatic relapse after neoadjuvant chemotherapy in large operable and locally advanced breast cancer in a phase II randomized trial. » JY. Pierga et coll. Clin. Cancer. Res. 1er novembre 2008, vol. 14(21), p. 7004.
Références :
« Microfluidic Sorting and High Content Multimodal Typing of Cancer Cells in Self-Assembled Magnetic Arrays »
A-E. Salibaa, L. Saiasa, E. Psycharia,3, N. Minca, D. Simonb,4, F-C. Bidardc, C. Mathiotd, J-Y. Piergac,e, V.Fraisierf, J. Salamerof, V. Saadag, F. Faraceg,h, P. Vielhg, L. Malaquina, J-L. Viovya
aInstitut Curie, CNRS, UPMC, Unité Mixte de Recherche 168, Paris, bLaboratoire de Physique Statistique, Ecole Normale Supérieure, Paris, cInstitut Curie, département d’Oncologie médicale, Paris, dInstitut Curie, Département de Biologie des tumeurs, Paris, eUniversité Paris Descartes, Paris, fInstitut Curie, Cell and Tissue Imaging platform, Nikon Imaging Centre, CNRS, Unité Mixte de Recherche 144, Paris, gInstitut de Cancérologie Gustave Roussy, Département de Biologie et de Pathologie Médicales et Laboratoire de Recherche Translationnelle, Villejuif, and hInserm, Unité 981, Villejuif
PNAS, vol. 107(33), p. 14524-9.
Source: communiqué de presse du CNRS
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