Une équipe internationale de scientifiques, dirigée par Christophe Daugeron du laboratoire « Origine, structure et évolution de la biodiversité » (MNHN/CNRS), vient de découvrir un cas exceptionnel d’asymétrie des tarses antérieurs chez certains mâles d’Empis jaschhoforum, une nouvelle espèce de mouche endémique du Japon. Une telle asymétrie polymorphe ne semble jamais avoir été signalée auparavant. D’après les chercheurs, le tarse modifié des mâles asymétriques de cette espèce serait un caractère sexuel secondaire permettant d’attirer les femelles. Ce travail est publié dans la revue Biology Letters.
Le plus extraordinaire est la nature polymorphe de cette asymétrie : dans une population de 33 mâles, 14 sont asymétriques avec le tarse droit ou gauche considérablement modifié, 18 sont symétriques avec aucun des deux tarses modifié, et 1 est symétrique avec les deux tarses modifiés. Une analyse morphométrique montre que la taille des tarses varie indépendamment de la taille générale des individus ; il n’y a donc pas de relation entre la taille des individus et le polymorphisme, caractéristique habituelle des cas de polyphénisme (plusieurs phénotypes discrets produits par un même génotype). La persistance du polymorphisme doit donc être expliqué autrement : les deux principaux morphes, mâles asymétriques et mâles symétriques non modifiés, tireraient un avantage sélectif de leur morphologie respective.
La plupart des espèces d’Empidinae forment des essaims de reproduction dans lesquels des « dons nuptiaux », généralement une proie, sont transmis aux femelles par les mâles juste avant l’accouplement. Parfois la proie est emballée dans un cocon de soie qui est produit par des glandes se situant dans les tarses antérieurs des mâles. La valeur nutritive du don nuptial peut être importante pour la femelle, mais le bénéfice nutritionnel est faible ou nul chez les espèces où le mâle « trompe » la femelle en lui offrant un objet non comestible ou un cocon vide. Les accouplements peuvent même avoir lieu sans aucun transfert préalable ; dans ce cas la présence chez le mâle de tarses considérablement élargis peut être apparentée à un cocon de soie ou à une proie et constitue, au même titre que le don nuptial, un stimulus visuel à longue distance favorisant le choix des mâles par les femelles. La morphologie et l’ornementation prononcée des tarses modifiés des mâles asymétriques d’Empis jaschhoforum pourraient avoir évolué dans ce sens.
La persistance au sein des populations d’Empis jaschhoforum de mâles symétriques non modifiés pourraient s’expliquer par un vol de meilleur qualité leur permettant d’être préférentiellement choisis par les femelles à courte distance.
Le comportement de cour des Empidinae est considéré comme exceptionnel : formation d’essaims, échange de dons nuptiaux, production de soie pour la confection des dons, choix du partenaire opéré par les femelles ou les mâles, présence de caractères sexuels secondaires développés à la fois chez les mâles et les femelles… Certaines espèces sont ainsi devenues des modèles de choix pour l’étude de l’évolution des systèmes de reproduction. En raison de son asymétrie polymorphe, Empis jaschhoforum pourrait être choisi à son tour comme un nouveau modèle d’étude.
Références :
Christophe Daugeron, Adrian Plant, Isaac Winkler, Andreas Stark and Michel Baylac. Extreme male leg polymorphic asymetry in a new empidine dance fly (Diptera : Empididae). Biology Letters, published online 22 September 2010.
Source: communiqué de presse du CNRS
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