Une équipe de chercheurs pilotée par Yvon Le Maho, chercheur CNRS à l’Institut pluridisciplinaire Hubert Curien (CNRS / Université de Strasbourg) et membre de l’Académie des Sciences, démontre que, sur dix ans, des manchots bagués à l’aileron ont un taux de survie de 16 % inférieur à leurs congénères non bagués, et que cette bague réduit de 39% leur succès reproducteur. Ces résultats ont été obtenus grâce au suivi électronique de cent manchots royaux sur l’Ile de la Possession dans les Terres Australes. Par principe de précaution, les chercheurs français ne baguent plus les manchots depuis les années 90. Soutenus (1) par l’Institut polaire français Paul-Émile Victor, ces travaux ont été menés en collaboration avec les universités norvégiennes d’Oslo et de Tromsø, la station biologique de la Tour du Valat et le Muséum national d’Histoire naturelle. Ils sont publiés le 13 janvier dans Nature et font la couverture de cette revue.
Les manchots sont d’excellents indicateurs de l’état de santé des écosystèmes marins et permettent donc de mieux connaître l’impact du changement climatique sur la biodiversité. En effet, ces prédateurs supérieurs de l’océan Austral se situent au sommet de la chaîne alimentaire marine. La dynamique de leurs populations est donc conditionnée par l’évolution des ressources marines ; les modifications survenant dans leur taux de survie et dans leur succès reproducteur reflètent en grande partie l’impact du climat sur les maillons inférieurs des chaînes alimentaires (poissons, zooplancton, etc.). Jusqu’à présent, la grande majorité des données disponibles a été obtenue au moyen de bagues fixées sur les animaux suivis. Mais, contrairement aux autres oiseaux, il est impossible, pour des raisons anatomiques, de baguer les manchots à la patte. Les chercheurs fixent donc les bagues aux ailerons. Ces bagues métalliques sont lisibles à distance, permettant ainsi d’éviter tout stress de recapture des manchots. L’utilisation de telles bagues alaires soulève cependant de sérieuses questions. En effet, ce brassard est à l’origine d’effets délétères pour l’animal, comme par exemple des blessures à l’aileron ou bien un surcoût énergétique de la nage ou de la pêche, lié à la gêne hydrodynamique engendrée au niveau des ailerons grâce auxquels les manchots se propulsent. Des études à court terme (un an maximum) ont conclu à l’absence d’impact du baguage. Par principe de précaution, ce système a été abandonné par certains chercheurs, dont les français, mais il est encore de mise de par le monde. De plus, certains scientifiques s’appuient toujours sur les données acquises par le baguage.
Pour la première fois, une équipe franco-norvégienne a effectué une étude à long terme dont l’objectif a été de suivre, pendant dix ans, cent manchots royaux munis d’étiquettes électroniques implantées sous la peau, parmi lesquels la moitié seulement portait également une bague alaire. Leur identification individuelle se faisait par radiofréquence grâce à des antennes enterrées le long de leurs voies de passage, entre la colonie et la mer. Ce dispositif de suivi électronique a été conçu en 1998 par l’équipe d’Yvon Le Maho à l’Institut pluridisciplinaire Hubert Curien (CNRS / Université de Strasbourg). Les chercheurs se sont intéressés à deux paramètres essentiels pour suivre l’évolution de cette population de manchots : leur taux de mortalité et leur succès reproducteur. Leurs résultats, sans équivoque, prouvent l’impact important du baguage alaire : ce dernier affecte à la fois la survie et la reproduction de ces animaux, à moyen et à long terme. Le taux de croissance de la population baguée est a fortiori également touché. En effet, au cours de la décennie, les 50 manchots bagués ont engendré 39% de poussins en moins (ce chiffre englobe la ponte et le fait d’amener son poussin à l’indépendance alimentaire). De plus, leur mortalité a été 16% supérieure à celle de leurs congénères non bagués.
Les oiseaux bagués arrivent plus tardivement sur leur lieu de reproduction. Et, après avoir été bagués pendant 10 ans, ils continuent à avoir une entrée en reproduction retardée, du fait de voyages alimentaires toujours plus longs. Cette étude réfute ainsi l’hypothèse selon laquelle les manchots pourraient s’habituer à la bague au bout d’un certain temps. Autre résultat capital : les manchots bagués ne réagissent pas de la même manière que les manchots non bagués à la variabilité climatique (température de la mer principalement). C’est pourquoi, selon l’année et les conditions environnementales, l’effet du baguage est plus ou moins perceptible. « En période favorable, quand la température de la mer est basse et les ressources alimentaires abondantes, il n’y a quasiment pas de différence entre les animaux bagués et non bagués », précise Claire Saraux, premier auteur de cet article. « En revanche, lorsque la température de la mer est plus élevée, les manchots doivent aller plus loin pour trouver leur nourriture, les oiseaux bagués restent alors plus longtemps en mer ». Ces résultats démontrent donc la nécessité d’études à long terme pour tester l’effet éventuel des méthodes de suivi des populations animales. Du point de vue éthique, cette étude remet en question les nombreuses campagnes de baguage de manchots qui perdurent. Ces résultats sont bien entendu propres aux manchots et ne peuvent être généralisés aux oiseaux volants bagués à la patte. Par ailleurs, comme les manchots bagués et les manchots non bagués ne réagissent pas de la même manière aux changements de température de la mer, cette étude prouve que le baguage à l’aileron introduit un biais important à l’étude de l’effet du climat sur la dynamique de population des manchots. Puisque largement basé sur des données obtenues à partir du baguage, l’ensemble de nos connaissances concernant cet effet doit donc être considéré avec prudence.
Notes :
(1) Ces travaux ont bénéficié du soutien financier et/ou logistique du CNRS, de l’IPEV, des TAAF, de la Fondation Bettencourt-Schueller et de la Fondation des Treilles.
Références :
Reliability of flipper-banded penguins as indicators of climate change. Claire Saraux, Céline Le Bohec, Joël M. Durant, Vincent A. Viblanc, Michel Gauthier-Clerc, David Beaune, Young-Hyang Park, Nigel G. Yoccoz, Nils C. Stenseth & Yvon Le Maho. Nature.13 janvier 2011.
Source: communiqué de presse du CNRS
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