«La mort cérébrale et la vie végétative sont souvent associées, et c’est une grave erreur.» Facundo Manes, neurologue à Buenos Aires et président de la Fédération mondiale de neurologie, est catégorique.
«Les images de l’activité cérébrale sont sans équivoque, assure-t-il. L’activité du cerveau est nulle en cas de mort cérébrale, alors qu’elle montre un niveau d’activité identique à celui du sommeil lors d’un état végétatif. Cependant, si nous sommes capables de différencier un état végétatif permanent d’une mort cérébrale, les outils pour établir un diagnostic précis et pour administrer un traitement adéquat nous manquent encore.»
Et pourtant, rarement la recherche n’aura été aussi féconde et prometteuse dans le domaine que ces dernières années, et notamment en Argentine sous l’impulsion de Facundo Manes.
Les chercheurs argentins ont démontré dans un article publié en octobre 2009 dans le Brain Injury Journal qu’il était possible de prouver l’existence du cycle circadien (cycle veille/éveil) chez un patient dans un état végétatif en mesurant simplement sa température corporelle. Un tel cycle étant la preuve d’une activité cérébrale, les scientifiques ont donc trouvé un moyen très simple d’établir une ébauche de diagnostic.
Les mêmes chercheurs avaient également montré qu’un électromyogramme mesurant les infimes courants électriques circulant dans les nerfs pouvait détecter des micromouvements des muscles même si le patient est incapable de bouger. En d’autres termes, ils ont réussi à détecter des ordres venant du cerveau, et prouver ainsi que le patient passe par des états de conscience. En février dernier, une équipe de chercheurs anglais et belges a fait la une des médias en publiant dans le New England Journal of Medecine qu’un patient en état végétatif pouvait communiquer par la pensée. Les neurologues ont en effet pu constater que les régions du cerveau correspondant au oui et au non «s’allumaient» en fonction des réponses que le patient voulait donner. Cette expérience diffère du cas de Ron Houben, cet homme plongé dans le coma depuis 23 ans et qui aurait communiqué à l’aide d’un ordinateur, puisqu’elle a pu être reproduite. Une autre équipe, à Cambridge cette fois, a montré qu’un patient pouvait «apprendre» alors qu’il se trouvait plongé dans une vie végétative depuis des années. Un apprentissage limité, certes, puisqu’il s’agissait en réalité de provoquer des réponses réflexes conditionnées, souvent appelées pavloviennes, mais bien réel. Toutes ces découvertes laissent à penser qu’un patient en état végétatif peut être conscient, ou dans un état de conscience minimal. L’état de conscience minimal est un concept datant de 2002. Il induit que les personnes peuvent éprouver de la douleur, des émotions et sont capables de communiquer dans une certaine mesure. Il reste cependant compliqué à cerner et, parce qu’il est intermittent, peut être très difficile à différencier de l’état végétatif. Or, selon une étude publiée dans la revue BMC Neurology l’année passée, 40% des patients ayant un diagnostic d’état végétatif seraient en fait dans un état de conscience minimal. «C’est pourquoi il nous faut des outils modernes et fiables pour obtenir des diagnostics précis, car un patient dans un état de conscience minimal a plus de chances d’évoluer positivement qu’un patient en état végétatif persistant», explique Facundo Manes. Et d’ajouter: «On pourra donc plus rapidement appliquer un traitement adéquat, car contrairement à ce que la situation laisse sous-entendre le temps nous est compté.»
En effet, l’état végétatif peut devenir persistant après deux ou trois mois si la cause est due à une hypoxie. C’est-à-dire à une privation prolongée d’oxygène suite à une intoxication au monoxyde de carbone, par exemple, ou à une anesthésie mal contrôlée. Les médecins ont en revanche un peu plus de temps, une douzaine de mois, pour tenter d’améliorer l’état du patient lorsque l’état végétatif fait suite à un traumatisme, dû à un accident de voiture ou à une chute sur la tête.
Selon les études les plus récentes, entre 10 et 20% des patients placés dans ce cas parviennent à récupérer une autonomie fonctionnelle, mais le plus souvent partielle. Si elle peut de nouveau communiquer avec son environnement, la personne reste cependant diminuée intellectuellement et amoindrie physiquement: la prise de décision est difficile, la mémoire s’estompe et le langage demeure approximatif. Quant à la récupération totale, elle est rarissime, seuls quelques cas dans le monde ont été répertoriés.
Reste la question éthique, faut-il maintenir en vie à tout prix ces patients? Dans un petit pays comme la Belgique, quelque 350 personnes sont dans un état végétatif, et chaque année une cinquantaine de nouveaux cas sont déclarés. «C’est vrai que, la plupart du temps, nous nous demandons si nous ne faisons pas que prolonger l’agonie, constate le neurologue argentin. La question est douloureuse, et la réponse ne peut être obtenue qu’après un long débat philosophique, scientifique et légal.»
Jusque-là, seul le Royaume-Uni s’est doté d’une législation pour statuer sur le sort des patients en état végétatif. C’est la Cour qui décide, sur la demande de la famille et l’avis d’experts, s’il faut continuer le traitement ou stopper toute intervention.
Le débat reste toutefois vif partout. Un homme qui ne pense plus est-il encore un homme? L’humanité se définit-elle uniquement par une capacité à penser? Mais ce genre de réflexions mène rapidement à des aberrations. Ce n’est pas parce que l’homme est parfois défini par sa capacité à communiquer et à parler qu’on décrétera un muet moins humain qu’un bavard.
Les membres de l’Institut européen de la bioéthique répondent en avançant un principe de base. L’homme, affirment-ils, doit être défini par ce qu’il est et non par ce qu’il fait.
Source: Pierre Bratschi – Le Temps
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