Une chute de l’activité métabolique persiste des semaines après le réveil
La capture de plusieurs ours noirs qui s’étaient aventurés un peu trop près d’installations humaines par le Department of Fish and Game de l’Alaska a donné l’occasion à des chercheurs d’étudier l’hibernation de ces grands mammifères comme jamais auparavant. Leur étude révèle de manière surprenante que bien que cet animal réduise légèrement sa température durant cette période, l’activité de son métabolisme s’effondre de façon spectaculaire et tombe à environ 25 pour cent de la normale.
Ceci est inattendu car on estime en général que les activités des processus chimiques et biologiques qui se déroulent dans un organisme baisse d’environ 50 pour cent pour chaque baisse de 10 °C. Les ours noirs d’Alaska n’abaissaient leur température interne que de cinq ou six degrés alors que leur métabolisme ralentissait bien plus qu’attendu dans ces conditions.
Øivind Tøien et un groupe de l’Institut de Biologie Arctique de l’Université de l’Alaska Fairbanks ainsi que des collègues de l’Université de Stanford annonceront le 17 février les résultats de leur étude au congrès annuel 2011 de l’AAAS à Washington, DC. Cette étude paraîtra aussi dans le numéro du 18 février de Science, la revue publiée par l’AAAS, la société scientifique à but non lucratif.
Ce travail est le premier à avoir fait la mesure en continu de l’activité métabolique et de la température corporelle de l’ours noir américain, ou Ursus americanus, au cours de son hibernation dans des conditions naturelles. L’ours passe cinq à sept mois sans manger ni boire, uriner ou déféquer avant d’émerger dans pratiquement les mêmes conditions physiologiques que son entrée en hibernation. Ce suivi unique a conduit les chercheurs à penser que dans le futur les données recueillies pourront s’appliquer à une foule d’autres études qui pourront porter aussi bien sur l’amélioration des soins médicaux que les voyages lointains dans l’espace.
Les participants à la belle fourrure noire de l’étude jugés comme une nuisance par le Department of Fish and Game de l’Alaska ont été transportés à l’Institut de Biologie Arctique où ils ont été placés dans une structure conçue pour mimer la tanière d’un ours. Ces abris étaient situés dans un bois, loin de toute perturbation humaine, et équipés de caméras infrarouge, de détecteurs d’activité et d’autres appareils de mesure à distance. Tøien et ses collègues ont aussi implanté des émetteurs radio dans chaque ours pour enregistrer la température de son corps, ses battements cardiaques et son activité musculaire.
En effectuant ce suivi des ours noirs nuit et jour pendant les cinq mois de leur hibernation, les chercheurs ont pu observer que la température de leur corps fluctuait entre 30 et 36 °C au cours de cycles lents de deux à sept jours. De telles fluctuations sur plusieurs jours de la température interne corporelle diffèrent de celles déjà observées chez tout autre animal hibernant.
Une femelle d’ours noir qui était gestante au cours de son hibernation a maintenu une température normale d’éveil durant toute cette période, ce qui laisse penser que les cycles de température ne sont pas favorables au développement embryonnaire. Après avoir donné naissance à son petit, malheureusement décédé par la suite d’une hernie diaphragmatique congénitale, la température du corps de la femelle s’est mise à baisser et a fini par rejoindre le cycle des autres ours en hibernation.
« Un indice très important pour comprendre ce qui se passe avec le métabolisme de l’ours est leur température corporelle » indique Tøien. « Nous savions que les ours abaissent leur température de quelques degrés pendant l’hibernation mais en Alaska nous avons trouvé que ces animaux régulent leur température interne en cycles qui varient sur plusieurs jours, ce qui n’apparaît pas chez les animaux de plus petite taille qui hibernent, et n’avait pas encore été observé chez les mammifères à notre connaissance. »
Une fois que la température interne des ours avait chuté à environ 30°C, ils présentaient des frissons jusqu’à ce qu’elle remonte à environ 36°C, ce qui prenait souvent plusieurs jours. Puis les ours réduisaient leurs frissonnements jusqu’à ce que leur température redescende autour de 30°C et le cycle recommençait.
En mesurant combien d’oxygène consommait les animaux au cours de l’hibernation dans leur pseudo abri, les chercheurs ont pu estimer que leur métabolisme se réduisait de 75 pour cent par rapport à son activité estivale. Le rythme cardiaque baissait aussi de 55 à 14 battements par minute.
« L’arrythmie sinusale est une variation de la fréquence cardiaque liée à la respiration et les ours montrent une forme extrême de ce phénomène » précise Tøien. « Ils ont un rythme cardiaque presque normal lorsqu’ils inspirent, mais entre les respirations il chute très bas. Parfois, il s’écoule presque 20 secondes entre chaque battement. Chaque fois que l’ours inspire, son cœur accélère brièvement pour atteindre presque son activité de repos en été. Lorsque l’ours expire, son cœur ralenti à nouveau… »
Au printemps, quand les ours se sont réveillés et ont émergé de leur tanière, les chercheurs s’attendaient à voir le métabolisme des animaux revenir à la normale : ils ont eu la nouvelle surprise de constater que leur métabolisme restait à un niveau encore inférieur de moitié à celui de l’été. Tøien et son équipe ont continué à suivre le métabolisme des ours pendant un mois de plus et ils ont pu ainsi déterminer qu’il ne retrouvait pas son activité normale avant deux à trois semaines.
Ces résultats apportent une description unique de l’hibernation chez un mammifère de taille humaine et les chercheurs espèrent pouvoir s’en servir dans de nombreuses disciplines. Comme une certaine forme d’hibernation où la température et le métabolisme du corps se trouvent réduits a été retrouvée dans neuf ordres de mammifères, il est probable que les bases génétiques de cette capacité sont anciennes et pourraient être exploitées pour différents objectifs. « Si notre travail pouvait servir à montrer comment réduire l’activité métabolique et la consommation d’oxygène dans les tissus humains, cela pourrait sauver des vies » ajoute Tøien. « Nous avons simplement besoin d’apprendre comment induire ou pas les états qui tirent partie des différents niveaux d’hibernation. »
« Lorsque l’ours noir émerge de son hibernation au printemps, on a montré qu’il ne présente pas la perte musculaire, osseuse et fonctionnelle que l’on attendrait chez l’homme après une aussi longue période d’immobilité et de non usage » poursuit Brian Barnes, l’auteur principal de l’étude. « Si nous pouvions découvrir les bases génétiques et moléculaires de cette protection et les mécanismes qui sous-tendent la réduction de l’activité métabolique, il pourrait y avoir une possibilité de dériver de nouvelles thérapies chez l’homme pour prévenir l’ostéoporose, l’atrophie musculaire due à l’inactivité, ou placer les blessés dans une sorte d’activité réduite ou suspendue jusqu’à ce que des soins appropriés puissent leur être fournis, prolongeant de précieuses heures en jours ou même en semaine. »
L’hibernation pourrait aussi avoir son intérêt pour des voyages lointains dans l’espace notent les chercheurs. Si l’espèce humaine pouvait un jour quitter la Terre, il pourrait s’avérer nécessaire d’induire un état d’hibernation comme celui de l’ours pour rendre le trajet possible.
De telles possibilités devront bien sûr nécessiter beaucoup d’autres études pour se concrétiser.
Cette étude de Tøien et coll. a été subventionnée par le Medical Research and Material Command de l’armée américaine, la National Science Foundation, les National Institutes of Health et des fonds donnés à l’Université de Stanford, à l’American Heart Association #0020626Z et le programme Fulbright.
Source: Natasha Pinol – AAAS
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