Plus la recherche avance, plus l’utilisation de ces «pièces de rechange du corps», se complexifie. Une étude genevoise recommande désormais de vérifier qu’elles ne contiennent pas de gènes provoquant des tumeurs
Tôt présentées comme des «pièces de rechange du corps humain» après leur découverte (fin des années 1990), les cellules souches d’embryons livrent peu à peu leurs secrets. Qui, à chaque fois, semblent complexifier leur utilisation thérapeutique et repousser les premiers essais cliniques souvent annoncés comme imminents. Dans une étude publiée dans la revue PLoS ONE, une équipe emmenée par des chercheurs des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) et du Karolinska Institutet (Stockholm) montre à quel point certaines lignées de cellules souches d’embryons humains peuvent contenir des gènes (oncogènes) susceptibles de générer des tumeurs malignes. Un détail qui, jusque-là, n’avait pas été évalué à sa juste valeur dans les protocoles d’utilisation clinique de ces cellules.
Ces cellules souches d’embryon humain (CSEh) composent le bouton embryonnaire de quelques jours; elles sont les plus intéressantes car elles ne ressemblent encore à aucune cellule de l’organisme. Sur «commande génétique», elles se spécifient pour créer ou régénérer un organe. Le tout en se démultipliant, ce qui permet de maintenir un réservoir (lignée) de cellules non différenciées. Les chercheurs espèrent les utiliser pour soigner des organes endommagés (cœur, cerveau, etc.), en les y injectant après avoir induit une spécialisation.
A noter que, depuis peu, la communauté scientifique travaille aussi avec des cellules dites «pluripotentes induites», des cellules de peau qu’il est possible de faire revenir à l’état indifférencié de cellules souches, avec les mêmes propriétés que celles-ci, mais avec l’avantage éthique de ne pas manipuler des embryons humains. Toutes ces recherches étant à leurs prémices, les deux pistes sont encore suivies.
Ainsi, 2010 a été annoncée comme l’«année test» pour les CSEh. La firme américaine Advanced Cell Technology serait sur le point d’injecter dans la rétine de 12 patients souffrant de distrophie maculaire des CSEh différenciées en cellules rétiniennes. A l’institut ISTEM, à Evry (France), l’équipe de Christine Baldeschi est parvenue, elle, à fabriquer des «patchs» de peau à partir de CSEh. Greffés sur des souris, ces lambeaux se sont transformés en épiderme. «Nous planifions maintenant un essai sur l’homme», a-t-elle confié au NewScientist. En France toujours, Philippe Menasché, directeur de recherches à l’INSERM, envisage, dès 2012, de «réparer» des cœurs avec des CSEh spécialisées en cellules cardiaques. Mais les chercheurs qu’on dit être les plus proches du but sont ceux de la firme Geron, à Menlo Park (Californie). L’an dernier, ils ont obtenu de la FDA, l’organe américain chargé de l’autorisation des médicaments, la permission d’injecter dans la moelle épinière de patients paralysés des CSEh différenciées en cellules neurales. Avant que cette même FDA ne stoppe ces essais en août, des kystes suspects ayant été découverts chez des cobayes animaux à qui l’on avait injecté ces mêmes cellules. Selon Anis Feki, chef de clinique au Département de gynécologie et obstétrique des HUG, Geron devrait y réfléchir à deux fois avant de se lancer, tant sa récente découverte est lourde de conséquences.
L’équipe genevoise détient la paternité de l’unique lignée de CSEh développée en Suisse (CH-ES). Or il est vite apparu que cette lignée présentait de graves caractéristiques tumorigéniques, une fois les cellules injectées dans des souris. «Nous voulions donc savoir quelles en étaient les causes au niveau moléculaire. Et de quelle manière elles se manifestent dans les autres lignées de cellules souches», dit Anis Feki.
En appliquant deux techniques très récentes de séquençage génétique, les biologistes sont donc partis en traque des divers gains et délétions de gènes, aberrants ou non, qui apparaissent dans le code génétique lové dans ces cellules au fur et à mesure que celles-ci se multiplient. En sus de la lignée suisse, ils ont fait le même exercice sur 4 autres lignées, dont celle de Geron, ainsi que sur des cellules de teratocarcinome (tumeur maligne).
Premier résultat: «Les mêmes oncogènes ont été retrouvés dans la lignée suisse et dans le teratocarcinome», explique Outi Hovatta, du Karolinska lnstitutet et première auteure de cette étude. Ce qui ne constitue pas une surprise, les cobayes genevois, chez qui ont été implantées les CSEh suisses, ayant développé des formes de cancers… Par contre, les cellules de la firme Geron contenaient elles aussi certains de ces oncogènes. «Or cette lignée semblait à première vue normale! Et Geron s’apprêtait à l’utiliser dans ses essais cliniques!», confie Anis Feki.
En résumé, son étude repose donc la question de la sécurité autour de ces CSEh: «On veut évidemment que les cellules injectées ne génèrent pas de tumeurs, lance Anis Feki. Or actuellement, le contrôle de qualité principal était l’établissement du caryotype, qui peut uniquement déceler des anomalies au niveau des chromosomes. Nos travaux montrent que cela ne suffit pas, et qu’il faut effectuer des analyses génétiques poussées avant d’utiliser des cellules souches dans un but thérapeutique.» Contactée pour commenter ces résultats, Geron n’a pas répondu à nos sollicitations.
«Ces travaux sont importants, souligne Philippe Menasché, car ils peuvent amener les autorités à renforcer les contrôles requis autour de ces cellules souches, afin d’assurer une sécurité maximale dans leur utilisation médicale.» Pour autant, l’expert ne pense pas que cette découverte remette fondamentalement en cause l’utilisation des CSEh. Car les techniques de séquençage génétique utilisées par l’équipe genevoise deviennent monnaie courante, quoique chronophages.
Son homologue Nathalie Lefort, de l’ISTEM, est du même avis. Elle reconnaît que «la question de la stabilité génétique des cellules souches n’a été jusque-là que peu abordée», et que les mécanismes d’apparition ou de délétion de gènes dans ces lignées sont encore mal expliqués. Et d’avancer: «Les CSEh sont souvent cultivées sur des cellules nourricières. Il est normal que des anomalies génétiques apparaissent au fil du temps. Nombre de laboratoires essaient donc d’améliorer ces méthodes de culture.» «Les conditions de cultures ne jouent ici aucun rôle», rétorque Anis Feki.
Reste que cette étude donne une nouvelle fois l’impression que l’application des CSEh en médecine humaine sera sans cesse repoussée par de nouvelles découvertes, parfois déroutantes, comme dans le cas de ces oncogènes. Autrement dit, plus la recherche avance, plus l’objectif semble s’éloigner… «Mais nous avons toujours su que tout cela était très complexe, coupe Philippe Menasché. L’idée à visée «publicitaire» des «pièces de rechange du corps» a été propagée un peu vite par certains journalistes ou scientifiques. Or il est normal que ce genre de recherches prennent du temps. Sans que les CSEh constituent forcément la révolution fantastique que tout le monde attend, je pense que nous allons aboutir, que les problèmes techniques vont être résolus.»
Source: Olivier Dessibourg – LeTemps.ch
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