Le bisphénol A, dont l’impact sur la reproduction et le développement fait l’objet de nombreuses études, induit des anomalies sur l’oreille interne d’embryons de certains vertébrés. Ce nouvel effet complètement insoupçonné vient d’être mis en évidence sur le poisson zèbre et le xénope, une sorte de grenouille, par une équipe dirigée par Vincent Laudet de l’Institut de génomique fonctionnelle (CNRS/ENS de Lyon/Université Lyon 1), en collaboration avec des chercheurs de l’Inserm, du Muséum national d’Histoire naturelle et de l’INRA (1). Publiés dans la revue BMC Developmental Biology, ces résultats illustrent, pour la première fois, la sensibilité de l’oreille interne au bisphénol A chez les vertébrés. Cette étude démontre qu’il conviendrait désormais d’étudier de manière plus approfondie les effets de ce composé chimique sur le développement embryonnaire des animaux, mammifères compris.
Le bisphénol A (BPA) est un composé chimique de synthèse largement utilisé dans la fabrication industrielle des récipients en plastique de type polycarbonates, tels les CD, les lunettes, certaines bouteilles plastiques ou certains biberons. On le retrouve également dans les résines époxy constituant les revêtements intérieurs des boîtes de conserve, les canettes de boissons ou les amalgames dentaires. Or, cette molécule peut modifier les équilibres hormonaux des vertébrés, en interagissant directement avec les récepteurs hormonaux ou bien avec les enzymes qui assurent le métabolisme de ces hormones: c’est un perturbateur endocrinien. En effet, le BPA est capable de se lier aux récepteurs des œstrogènes, les hormones sexuelles féminines, et de mimer leur action dans l’organisme. C’est pourquoi il est aujourd’hui classé reprotoxique de catégorie 3, c’est-à-dire jugé « préoccupant pour la fertilité de l’espèce humaine » en raison « d’effets toxiques possibles » mais non démontrés sur la reproduction. Les évaluations de risque ont conduit à définir une dose journalière tolérable (DJT) de 50 µg de BPA par kg de poids corporel et par jour, soit 2,5 mg par jour pour un individu de 50 kg. Jusqu’à présent, la plupart des études menées pour caractériser et évaluer ses effets dans le corps humain ont concerné la fonction de reproduction et le développement du cerveau (2).
Les chercheurs se sont intéressés à l’effet de ce composé sur le développement embryonnaire. Pour cela, ils ont exposé des œufs de poissons zèbre (Danio rerio) à des concentrations de plus en plus importantes de BPA (de 1 mg/L à 20 mg/L). Et le résultat n’a pas manqué de les surprendre : la plupart des embryons de poissons zèbre ont, après exposition au BPA, présenté des anomalies au niveau des otolithes, de petites structures de l’oreille interne qui servent à contrôler l’équilibre et jouent aussi un rôle dans l’audition. Pour 60% des embryons, des agrégats d’otolithes se sont formés. D’autres anomalies de l’oreille interne, moins fréquentes, ont également été relevées. Au-delà d’une concentration de 15mg/L, tous les poissons zèbre ont développé des anomalies. Mais, cette dose correspond à une exposition très aigüe, bien plus élevée que la gamme d’exposition possible de l’être humain. Allant plus loin, les scientifiques ont renouvelé leur expérience sur un autre vertébré de la famille des amphibiens, le xénope. Là aussi, ils ont constaté le développement d’anomalies sur l’oreille interne, suggérant que cet effet pourrait exister chez d’autres vertébrés. Les scientifiques ont ainsi mis en évidence un effet inattendu du BPA, jamais observé jusqu’à présent. Bien entendu, rien ne peut être déduit pour l’homme, tant que des mécanismes d’action n’auront pas été totalement élucidés et que des recherches approfondies n’auront pas été menées chez les mammifères et sur l’être humain en particulier.
De plus, les chercheurs ont constaté qu’en bloquant les récepteurs des oestrogènes, la cible classique du bisphénol A, ces anomalies persistaient, supposant que le BPA se fixerait sur un autre récepteur. Ce nouvel effet serait donc totalement indépendant des récepteurs des oestrogènes.
Ces travaux démontrent clairement qu’outre ses effets reprotoxiques, le bisphénol A, à des doses assez élevées, agit aussi sur le développement embryonnaire. Ils révèlent également que les cibles d’action de ce composé sont plus nombreuses que ce que l’on pensait jusqu’à présent. Enfin, ils ouvrent de nouvelles perspectives de recherche afin de caractériser le fonctionnement du bisphénol A et d’évaluer correctement ses effets.
Poissons zèbre et xénope, de bons modèles en biologie du développement |
Le poisson zèbre (Danio rerio) et le xénope (Xenopus sp.) allient facilité d’utilisation in vivo et pertinence in vitro. Ces deux modèles sont des vertébrés, petits, robustes et faciles à élever. Il s’agit donc d’organismes assez proches de l’homme et de la souris, sur lesquels il est facile de se livrer à des approches de génétique du fait de leurs développements embryonnaires rapides. |
Ce travail a notamment bénéficié du soutien de l’ANR et de la Commission européenne.
(1) Les laboratoires impliqués sont : l’Institut de génomique fonctionnelle de Lyon (CNRS/ENS de Lyon/Université Lyon 1) ; l’unité « Evolution des régulations endocriniennes » (CNRS/MNHN) ; l’Institut de recherche en cancérologie de Montpellier, unité Inserm 896 ; et l’unité mixte de recherche « Toxalim », équipe « Métabolisme des Xénobiotiques » de l’INRA de Toulouse.
(2) Source : Bisphénol A : Effets sur la reproduction – Une expertise collective de l’Inserm
Références :
Bisphenol A induces otolith malformations during vertebrate embryogenesis. Yann Gibert, Sana Sassi-Messai, Jean-Baptiste Fini, Laure Bernard, Daniel Zalko, Jean-Pierre Cravedi, Patrick Balaguer, Monika Andersson-Lendahl, Barbara Demeneix, Vincent Laudet, BMC Developmental Biology 2011, 11:4.
Source: communiqué de presse du CNRS
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