Selon une nouvelle étude réalisée par des scientifiques canadiens et britanniques, les conditions de vie familiales pendant l’enfance sont associées à des effets marqués sur l’ADN qui persistent jusqu’à l’âge mûr.
Réunissant des chercheurs de l’Université McGill, à Montréal, de l’Université de la Colombie-Britannique, à Vancouver, et de l’Institut de santé infantile du University College de Londres (UCL), l’équipe a examiné la méthylation des gènes associée à des facteurs sociaux et économiques du début de la vie. Les chercheurs ont découvert des différences marquées dans la méthylation des gènes entre les sujets ayant grandi au sein d’une famille aux conditions de vie très bonnes et ceux ayant connu des conditions très précaires. Plus du double des variations dans la méthylation étaient associées à l’effet combiné de la situation économique, des conditions de logement et du travail des parents (c’est-à-dire aux conditions vécues au début de leur éducation), plutôt qu’aux conditions socioéconomiques à l’âge adulte (1 252 variations, comparativement à 545).
Publiées en ligne aujourd’hui dans l’International Journal of Epidemiology, les données pourraient fournir des preuves importantes des raisons pour lesquelles les troubles de santé associés à une situation économique précaire peuvent perdurer la vie durant, malgré l’amélioration des conditions de vie par la suite. L’étude a entrepris d’explorer la manière dont les conditions vécues au début de la vie peuvent devenir « biologiquement intégrées » et ainsi continuer d’influencer la santé pendant toute la vie, de manière positive ou négative. Les scientifiques ont examiné la méthylation de l’ ADN, une soi-disant modification épigénétique liée aux changements apportés dans l’activité des gènes, d’où les risques éventuels pour la santé. (Généralement, la méthylation d’un gène à un point important dans l’ ADN ralentit l’activité de ce gène.)
Les chercheurs se sont penchés sur 40 sujets du Royaume-Uni dans le cadre d’une étude en continu qui a documenté, depuis leur naissance, nombre d’aspects de la vie de plus de 10 000 personnes nées en mars 1958. Les chercheurs ont étudié l’ ADN préparé à partir d’échantillons sanguins prélevés alors que les sujets avaient 45 ans. Ils ont choisi des personnes qui avaient fait l’expérience de conditions de vie très bonnes ou très précaires pendant l’enfance ou l’âge adulte, pour étudier toute variation dans la méthylation de l’ ADN susceptible d’exister entre des sujets dont les conditions de vie sont très différentes. L’analyse a mesuré les variations de la méthylation de l’ ADN de groupes socioéconomiques distincts, aux zones de contrôle de plus de 20 000 gènes.
« C’est la première fois qu’un lien est établi entre les conditions économiques de l’enfance et la biochimie de l’ ADN », a déclaréMoshe Szyf, professeur de pharmacologie à McGill. « Si nous considérons le génome comme une série de phrases, l’ ADN, les lettres, est transmis par des parents. La méthylation de l’ ADN se compare aux signes de ponctuation qui déterminent comment les lettres devraient être combinées pour former des phrases et des paragraphes lus différemment par les différents organes du corps, le cœur, le cerveau et ainsi de suite », a ajouté monsieur Szyf. « Nous avons appris que ces signes de ponctuation sont attentifs aux signaux qui proviennent de l’environnement, et qu’ils sont marqués par les conditions de vie pendant l’enfance. Essentiellement, ils agissent comme un mécanisme qui permet à l’ ADN de s’adapter au monde qui évolue rapidement. »
« Nous avons découvert une quantité surprenante de variations dans la méthylation de l’ ADN; plus de 6 000 zones de contrôle génétique indiquaient des différences marquées entre les 40 sujets de la recherche », a déclaré l’un des auteurs de l’étude, le professeur émérite Marcus Pembrey, de l’Institut de santé infantile du UCL. « À l’intérieur de cette vaste variation, il existait un profil de méthylation de l’ ADN distinct, associé aux conditions de vie pendant l’enfance et l’âge adulte. Étant donné que l’ ADN a été prélevé chez des sujets âgés de 45 ans, il a été encore plus étonnant de constater que les niveaux de méthylation de 1 252 promoteurs de gènes étaient associés aux conditions de vie pendant l’enfance, comparativement à 545 pour les promoteurs des conditions de vie à l’âge adulte. »
Les profils de méthylation associés aux conditions de vie familiales pendant l’enfance ont été regroupés en vastes étendues d’ ADN, suggérant qu’un modèle épigénétique bien défini est lié à l’environnement socioéconomique de la petite enfance. « Les maladies adultes déjà associées aux inconvénients subis pendant la petite enfance comprennent la maladie coronarienne, le diabète de type 2 et les troubles respiratoires », a déclaré Chris Power, coauteur de l’étude et professeur d’épidémiologie et de santé publique à l’Institut de santé infantile du UCL. « Nous espérons que de futurs travaux de recherche permettront de définir quel réseau de gènes dont la méthylation indique des variations est à son tour associé à certaines maladies. »
« La présente étude n’est qu’une première étape, car elle ne peut indiquer précisément à quel moment du début de la vie ces modèles épigénétiques sont survenus, ni ce que seront les effets à long terme sur la santé », a déclaré le professeur Power. « Nous devrons acquérir ces connaissances avant que des interventions utiles ne puissent être envisagées, mais cela doit être l’objectif à long terme.»
L’étude n’a pas permis de découvrir :
· les effets spécifiques d’une maladie liés aux zones dont la méthylation de l’ ADN indique des variations;
· s’il existe des effets positifs ou protecteurs; ou
· si ces changements peuvent être transmis du parent à l’enfant.
Les travaux étaient financés par : les IRSC, le Conseil de la recherche médicale du Royaume-Uni et le Programme Sackler en épigénétique et psychobiologie de l’Université McGill.
Source : Katherine Gombay – Université McGill
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