Des chercheurs (1) du Muséum national d’Histoire naturelle, du CNRS, de l’IRD viennent de réaliser une étude interdisciplinaire, mêlant génétique des populations humaines et ethnologie. Elle présente pour la première fois une estimation indirecte par la génétique des distances de dispersion entre les lieux de naissance des parents et ceux de leurs enfants, chez le plus grand groupe de chasseurs-cueilleurs au monde: les Pygmées d’Afrique Centrale. Ces travaux viennent d’être publiés dans l’édition « on line » du journal Biology Letters de la Royal Society.
Mobilité et dispersion géographique : deux mécanismes bien distincts, et encore mal connus
Le rapport entre la grande mobilité de l’homme et sa dispersion locale (caractérisée par la distance entre le lieu de naissance des parents et celui des enfants) est souvent mal connu, et, les mécanismes de dispersion déterminant la distribution géographique de la diversité génétique humaine sont encore mal compris. Les ethnologues ont souvent décrit la grande diversité des comportements de mobilité des populations humaines à partir de leurs modes de subsistance. Par exemple, les populations de chasseurs-cueilleurs sont souvent beaucoup plus mobiles que les populations d’agriculteurs sédentaires. Cependant, les chercheurs n’ont pas assez de données démographiques pour bien comprendre le rapport entre la mobilité et la dispersion démographique de ces populations.
L’objet de l’étude : les Pygmées d’Afrique Centrale
L’Afrique équatoriale est peuplée de communautés humaines majoritairement sédentaires qui vivent de l’agriculture. Certaines se distinguent toutefois avec un mode de vie extrêmement mobile au sein de la forêt équatoriale, et une économie basée sur la chasse et la cueillette. Ces sociétés, désignées par le nom générique de « Pygmées » forment aujourd’hui le plus grand groupe de chasseurs-cueilleurs au monde. La grande mobilité des Pygmées d’Afrique Centrale est due essentiellement aux nombreuses visites familiales, aux activités sociales, rituelles et économiques (saisonnalité de la chasse et de la cueillette), mais aussi à des déplacements fréquents dans le cadre des relations socio-économiques complexes que les Pygmées entretiennent avec leurs voisins agriculteurs non-Pygmées.
L’estimation de la dispersion efficace des Pygmées Baka : une méthode concluante, des résultats étonnants
Les données statistiques de la génétique des populations permettent d’estimer la dispersion efficace d’un groupe humain indirectement à partir des relations entre les distances génétiques mesurées entre individus, et les distances géographiques entre les lieux de naissance de ces mêmes individus.Les scientifiques ont donc utilisé les données génétiques récemment publiées sur les pygmées de l’Ouest de l’Afrique Centrale (Verdu and al. 2009, Current Biology) (2). Ils ont d’abord précisément déterminé les coordonnées géographiques de 87 individus Pygmées Baka du Cameroun ? l’une des communautés les plus importantes de Pygmées d’Afrique centrale ? échantillonnés dans 3 zones géographiques de 2500 km2 chacune. Dans un second temps, ils ont analysé la corrélation entre distance génétique et distance géographique pour estimer indirectement la dispersion efficace de cette population particulièrement mobile.
C’est la première fois que des données génétiques sont analysées à une échelle aussi fine dans des populations de chasseurs-cueilleurs. Les résultats montrent de façon très surprenante que la dispersion efficace des Pygmées Baka est en fait probablement assez réduite : malgré une mobilité certaine tout au long de l’année dans la forêt équatoriale, il semblerait que les enfants Baka ne naissent qu’à quelques dizaines de kilomètres du lieu de naissance de leurs parents. Ces travaux montrent ainsi que ce n’est pas parce que des groupes humains sont très mobiles que les enfants naissent nécessairement loin du lieu de naissance de leurs parents. En outre, Paul Verdu et ses collaborateurs (2009, Current Biology) ont montré l’origine récente (il y a environ 3000 ans) de nombreuses populations dites « Pygmées » de l’Ouest de l’Afrique Centrale, populations pourtant aujourd’hui génétiquement très différenciées les unes des autres. Ces résultats sur la dispersion efficace des Pygmées Baka montrent qu’un tel comportement de dispersion limitée peut avoir été l’un des mécanismes essentiels de l’isolement génétique des populations Pygmées contemporaines.
Notes :
(1) Sont notamment impliqués les unités « Eco-Anthropologie et ethnobiologie » située au Musée de l’Homme (MNHN/CNRS/Université Paris 7) et « Origine, structure et évolution de la biodiversité » (MNHN/CNRS), l’Institut des sciences de l’évolution de Montpellier (CNRS/Université Montpellier 2) ainsi que le laboratoire « Patrimoines locaux » (IRD/MNHN) et le Centre de Biologie pour la Gestion des Populations (INRA /IRD/CIRAD/Montpellier SupAgro).
(2) Origins and Genetic Diversity of Pygmy Hunter-Gatherers from Western Central Africa. Paul Verdu, Frederic Austerlitz, Arnaud Estoup, Renaud Vitalis, Myriam Georges, Sylvain Théry, Alain Froment, Sylvie Le Bomin, Antoine Gessain, Jean-Marie
Hombert, Lolke Van der Veen, Lluis Quintana-Murci, Serge Bahuchet and Evelyne Heyer. Current Biology 2009 19, pp. 312–318
Références :
Limited dispersal in mobile hunter–gatherer Baka Pygmies. Paul Verdu, Raphaël Leblois, Alain Froment,Sylvain Théry, Serge Bahuchet, François Rousset, Evelyne Heyer, and Renaud Vitalis. Biology Letters published online before print April 28, 2010, doi:10.1098/rsbl.2010.0192
Source: communiqué de presse du CNRS
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