Les feuilles de la plante carnivore Nepenthes rafflesiana, en Asie du Sud-Est, miment biochimiquement les fleurs pour leurrer les insectes. Attirés par une large palette de composés volatils comparables à ceux classiquement émis par les fleurs, les insectes sont pris au piège dans les feuilles en forme d’urnes de la plante. Cette découverte, publiée dans Journal of Ecology, a été réalisée par des biologistes et des chimistes du laboratoire Botanique et bioinformatique de l’architecture des plantes (AMAP, CNRS/INRA/Cirad/IRD/Université Montpellier 2) et de l’Université du Brunei sur l’île de Bornéo.
Les plantes carnivores se sont adaptées à leurs milieux pauvres en nutriments en piégeant et digérant de petits animaux, majoritairement des insectes. Parmi elles, les plantes de l’espèce Nepenthes rafflesiana, abondante au Nord de Bornéo, possèdent des feuilles en forme d’urnes contenant une « salive » gluante qui piège les insectes et empêche leur fuite (1). Ces feuilles ont développé tout un éventail de traits communs avec les fleurs : du nectar, des couleurs souvent vives ou des guides ultraviolets qui ont de tous temps intrigué les scientifiques, à commencer par Darwin.
En travaillant avec des chimistes, Bruno Di Giusto, Michaël Guéroult et Laurence Gaume-Vial, écologues au laboratoire Botanique et bioinformatique de l’architecture des plantes (AMAP, CNRS/INRA/Cirad/IRD/Université Montpellier 2), montrent que ces feuilles sont également capables de produire des odeurs florales pour attirer leurs proies. A la base de cette découverte, une constatation : en fonction de leur situation sur la plante, au ras du sol ou en hauteur, les urnes ne capturent pas les mêmes proies. En effet, les urnes aériennes de la plante ont une odeur agréable et piègent une gamme variée d’insectes alors que les urnes terrestres, peu odorantes, capturent essentiellement des fourmis.
Les chercheurs ont d’abord comparé sur le terrain les insectes visitant ces deux types d’urnes. Les urnes aériennes, même lorsqu’elles sont placées à terre attirent plus d’insectes que les urnes terrestres, et notamment toute une variété d’insectes consommant habituellement le nectar ou le pollen des fleurs : mouches, moustiques, papillons, coléoptères, abeilles, guêpes… Ils ont ensuite réalisé des expérimentations olfactives sur les insectes à l’aide d’olfactomètres. Les insectes, des fourmis (visiteurs habituels de feuilles) et des mouches (visiteurs habituels de fleurs), doivent choisir entre un compartiment témoin contenant seulement de l’air pulsé et un autre contenant de l’air pulsé avec des effluves d’urnes fraîchement découpées. Les chercheurs ont constaté qu’en l’absence de stimulus visuel les insectes allaient préférentiellement dans la partie odorante et que les mouches étaient plus attirées par les effluves d’urnes aériennes que les effluves d’urnes terrestres.
En parallèle, les scientifiques ont récolté les odeurs émises par les urnes sur leurs plantes par une technique d’adsorption-désorption : ils enferment l’urne dans un sachet plastique inodore dans lequel ils font circuler de l’air puis récupèrent les composés volatils odorants dans des filtres. Ces derniers sont ensuite exportés en France pour être analysés (2) sur la plateforme d’écologie chimique du CEFE (3) à Montpellier et identifiés par le chimiste Jean-Marie Bessière.
L’ensemble des résultats montre que les pièges foliaires aériens de Nepenthes rafflesiana produisent une diversité de composés volatils, des dérivés d’acides gras, et surtout des composés benzéniques et des terpènes communément émis par les fleurs à pollinisation généraliste (pollinisées par différents types d’insectes) ainsi qu’une grande quantité de quelques composés rares aux odeurs douces et sucrées. Les urnes terrestres, produites par la plante dans sa phase juvénile, émettent beaucoup moins de composés aromatiques et attirent essentiellement des fourmis. Les urnes aériennes, produites lorsque la plante devient adulte et grimpante, émettent en abondance ces bouquets d’odeurs et lui permettent d’élargir son spectre de proies à un panel d’insectes volants, typiquement des visiteurs de fleurs.
Ces pièges parfumés pourraient inspirer les programmes de lutte contre les insectes ravageurs de cultures ou contre les vecteurs de maladies tels que les moustiques.
Une des nombreuses questions qui préoccupent maintenant les chercheurs est de savoir comment la plante opère pour ne pas capturer ses propres pollinisateurs…
Notes :
(1) Voir le communiqué de presse : Des plantes carnivores utilisent une « salive » élastique pour capturer leurs proies : Consulter le site web
(2) Les composés volatils ont été analysés par des techniques de chromatographie en phase gazeuse et de spectrométrie de masse.
(3) Plateforme d’écologie chimique, dirigée par Bruno Buatois, du Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive de Montpellier (CNRS/Universités Montpellier 1, 2 et 3/ENSA Montpellier/CIRAD/Ecole pratique des hautes études Paris).
Références :
Flower-scent mimicry masks a deadly trap in the carnivorous plant Nepenthes rafflesiana. Bruno Di Giusto, Jean-Marie Bessière, Michael Guéroult, Linda B. L. Lim, David J. Marshall, Martine Hossaert-McKey and Laurence Gaume. Journal of Ecology
Source: communiqué de presse du CNRS
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