Déjà utilisée contre les poux chez les enfants et le ver du coeur chez les animaux domestiques, l’ivermectine pourrait ajouter le paludisme à la longue liste des maladies qu’elle aide à maîtriser
Selon une étude récente publiée aujourd’hui dans l’édition de juillet de l’American Journal of Tropical Medicine and Hygiene, un médicament bon marché, couramment utilisé en Afrique pour lutter contre l’onchocercose ou cécité des rivières, le ver du coeur et d’autres parasites tels que les helminthes, pourrait également interrompre radicalement la transmission du paludisme, offrant ainsi une arme potentielle peu coûteuse, à la lutte contre une maladie qui tue près de 800 000 personnes chaque année.
Menée par des scientifiques du Sénégal et de l’Université d’État du Colorado, cette étude a observé que la transmission des parasites du paludisme par les moustiques avait nettement chuté parmi les habitants de plusieurs villages sénégalais de l’arrondissement de Bandafiassi, Département de Kédougou, pendant les deux semaines suivant l’administration d’ivermectine au cours d’une campagne de lutte contre le ver rond de l’onchocercose – la cécité des rivières. Ce médicament semblait tuer les moustiques porteurs de paludisme qui se nourrissaient du sang des villageois ayant pris leur prophylaxie a l’ivermectine.
Selon le Dr Massamba Sylla, co-auteur de l’étude, « le paludisme représente la première cause de consultation dans les structures de santé en milieu rural au Sénégal. Les taux de mortalité et de morbidité paludéennes sont élevés. Cette maladie continue d’éprouver les structures et les politiques de santé et d’accabler les économies de beaucoup de pays en voie de développement. La recherche pour découvrir des solutions effectives et bon marché contre le paludisme reste donc essentielle. »
L’opportunité offerte par le programme sénégalais APOC pour la distribution et l’administration en masse de l’ivermectine dans le Sud du Sénégal, coordonné par le Médecin Colonel Moussa Dieng Sarr du Ministère de la Sante et de La Prévention au Sénégal, a été saisie pour vérifier et évaluer l’effet toxique de la molécule d’ivermectine sur les Anopheles spp. qui se sont gorgés sur les individus ayant reçu leur prophylaxie à l’ivermectine. Il reste, par des essais cliniques, à apprécier la façon dont la transmission du paludisme a, du coup, été momentanément interrompue ou diminuée dans la communauté.
« Il n’y a pas d’arme absolue dans la lutte contre le paludisme, explique Brian D. Foy, docteur en biologie des vecteurs à l’Université d’État du Colorado, qui a dirigé la rédaction de l’article. Mais ceci peut être un outil important, qui contribuerait en plus à combattre d’autres maladies négligées. Il s’agit clairement d’un médicament à usages multiples. »
Brian Foy raconte s’être intéressé au potentiel de lutte contre le paludisme de l’ivermectine après avoir recherché divers moyens, y compris les vaccins, pour donner au sang humain la capacité de tuer les moustiques.
Des études plus approfondies seront nécessaires pour déterminer si des prises d’ivermectine plus fréquentes – mensuelles par exemple – pendant la saison de la forte transmission du paludisme dans différentes régions de l’Afrique ont un impact significatif sur la maladie. Les chercheurs notent néanmoins que leur étude suggère qu’il devrait être possible d’utiliser le médicament pour réduire la transmission du paludisme pendant les épidémies ou les saisons de transmission. Leur travail a été financé en partie par un don Grand Challenges Explorations de la Fondation Bill et Melinda Gates, qui récompense les démarches scientifiques créatives dans la résolution des problèmes de santé mondiaux.
« Cette étude est une bonne nouvelle à divers égards, dont le potentiel d’interruption de la transmission du paludisme et d’économie de souffrances et de morts inutiles n’est pas le moindre, déclare Peter J. Hotez, docteur en médecine et président de l’American Society of Tropical Medicine and Hygiene. Nous avons besoin d’une science plus créative, telle que celle-ci, qui produit des résultats simples mais puissants dans notre combat contre les maladies négligées affectant principalement les pauvres. »
Selon l’Organisation mondiale de la santé, le paludisme tue 781 000 personnes chaque année, pour la plupart de très jeunes enfants africains. De nouvelles approches sont constamment nécessaires pour combattre la maladie, en particulier dans le domaine de la transmission. Les méthodes actuelles de réduction de la transmission reposent principalement sur l’utilisation de moustiquaires de lit traitées à l’insecticide et sur la pulvérisation intérieure d’anti-moustiques, qui sont très efficaces mais aussi menacées par le risque de voir les moustiques développer une résistance aux insecticides les plus couramment utilisés. De plus, ces mesures n’empêchent pas la transmission du paludisme par les moustiques piquant pendant la journée ou à l’extérieur des maisons.
« Si l’ivermectine arrive à réduire la transmission, elle pourra circuler dans le sang des gens et tuer les moustiques n’importe où et à n’importe quelle heure de la journée », fait remarquer Brian Foy.
Pour évaluer si l’ivermectine est bien un agent potentiel de lutte contre le paludisme, les chercheurs capturent des moustiques par aspiration intradomiciliaire dans les villages où la population a pris le médicament et les comparent à ceux collectés au même moment dans des villages témoins où le médicament n’a pas été administré. Là où l’ivermectine a été utilisée, deux semaines après la prise du médicament, on a constaté une baisse de 79 % du nombre de moustiques porteurs du Plasmodium falciparum – le parasite du paludisme le plus mortel. Dans les villages où l’ivermectine n’a pas été administrée, le nombre de moustiques porteurs du paludisme a augmenté de 246% au cours de la même période.
Depuis 1987, l’entreprise pharmaceutique Merck (qui n’a pas participé à l’étude) a fait don de millions de doses d’ivermectine – sous la marque Mectizan – pour traiter la cécité des rivières, une maladie qui touche environ 18 millions de personnes. Elle est propagée par les mouches noires qui transmettent un ver s’immisçant dans la peau et les yeux ; quelque 270 000 personnes touchées par la maladie sont devenues aveugles. « Pour la cécité des rivières, ce médicament a transformé des vies, dit Peter Hotez. Ajouter le paludisme à son déjà impressionnant rendement de l’investissement serait un développement incroyable. »
« Quand un médicament est intensivement utilisé, il y a toujours un risque de « créer » des parasites pharmacorésistants, explique Brian Foy. Mais tel ne serait pas le cas de l’ivermectine parce que, contrairement aux produits répandus sur de vastes régions, celle-ci ne cible que le petit pourcentage des moustiques qui piquent des gens. »
Du vers du coeur des animaux domestiques aux poux des écoliers : les nombreux usages de l’ivermectine
L’ivermectine est également efficace contre toute une série de vers parasites, y compris celui de l’éléphantiasis, une maladie provoquée par un vers colonisant le système lymphatique, souvent transmis par les mêmes moustiques que ceux responsables du paludisme. Beaucoup d’enfants et de propriétaires d’animaux domestiques en ont bénéficié. Des centaines de millions de doses ont été administrées pour prévenir le vers du coeur et les vers intestinaux chez les chiens, les chevaux et le bétail. Le médicament est aussi utilisé pour tuer les insectes qui s’en prennent habituellement aux enfants, comme les puces, les poux ou encore les mites de la gale.
Merck a développé l’ivermectine à partir du produit de la fermentation d’une bactérie découverte en 1975 dans le sol voisin d’un terrain de golfe japonais. Agréé en tant que médicament vétérinaire en 1981, elle agit en paralysant les muscles des insectes ou des nématodes, ce qui ralentit leurs mouvements et leur capacité à se nourrir, les affaiblit et entraîne leur mort.
Dans de nombreuses régions de l’Afrique, le médicament est actuellement donné une ou deux fois par an gratuitement pour lutter contre la cécité des rivières. L’ivermectine est aussi administrée une fois par an en Afrique subsaharienne, dans le cadre de vastes programmes de santé publique visant à éliminer l’éléphantiasis. Selon Brian Foy, pour lutter contre le paludisme, il faudrait l’administrer plus souvent, probablement au moins une fois par mois, pendant les saisons où les moustiques transmettent le paludisme. Les scientifiques estiment que cela fonctionnerait probablement mieux dans les régions où la saison de transmission du paludisme est limitée que dans celles où la maladie est une menace permanente.
L’ivermectine présente peu d’effets secondaires importants. Lorsqu’elle tue un vers parasite présent dans le corps, elle peut déclencher de sévères réactions allergiques chez un petit pourcentage des patients infectés par le loa-loa. Aucun cas grave n’a été répertorié chez les patients recevant des doses fréquentes du médicament, comme ceux traités pour de sévères infections par la gale.
À propos de l’ASTMH
Créée en 1903, l’American Society of Tropical Medicine and Hygiene est une organisation internationale regroupant des scientifiques, cliniciens et professionnels des programmes, dont la mission est de promouvoir la santé dans le monde à travers la prévention et la lutte contre les infectons et les maladies affectant les pauvre de façon disproportionnée.
Source : Bridget DeSimone – American Society of Tropical Medicine and Hygiene
Laisser un commentaire