Les spinosaures, un groupe énigmatique de dinosaures carnivores ayant vécu durant une partie du Mésozoïque (- 150 à – 90 millions d’années), avaient un mode de vie semi-aquatique, similaire à celui des crocodiles ou des hippopotames actuels. C’est ce que montrent des chercheurs des laboratoires PaléoEnvironnements & PaléobioSphère (CNRS/Université Claude Bernard Lyon 1) et Géologie de l’École Normale Supérieure (CNRS/Ecole Normale Supérieure de Paris) ainsi que leurs homologues de l’Institute of Vertebrate Paleontology and Paleoanthropology de Pékin. C’est la composition isotopique de l’oxygène contenu dans les restes fossilisés de ces dinosaures qui a permis de résoudre ce problème écologique qui tracassait jusqu’à présent les paléontologues. Ces résultats sont publiés dans la revue Geology de février 2010.
Les spinosaures qui vivaient sur trois continents, l’Amérique du Sud, l’Afrique et l’Eurasie, entre la fin du Jurassique et le milieu du Crétacé (-150 à -90 millions d’années environ) constituent un groupe de dinosaures carnivores dont certaines espèces atteignaient de très grandes tailles. On estime en effet qu’ils pouvaient mesurer jusqu’à 16–18 mètres de long, pour un poids de 11 tonnes, ce qui fait d’eux les plus grands dinosaures carnivores et les plus grands prédateurs terrestres ayant existé. En plus de posséder de longues épines osseuses prolongeant leurs vertèbres et formant un voile dorsal très caractéristique, ces animaux avaient un crâne au museau très allongé garni de dents coniques très similaires à celles de certains crocodiles et d’énormes griffes terminant les doigts de leurs membres antérieurs. De telles spécialisations avaient été interprétées par les paléontologues comme étant une adaptation à un régime piscivore (à base de poisson), similaire à celle de certains crocodiles. Des preuves directes comme des contenus stomacaux ou des traces de prédation avaient déjà confirmé que les spinosaures se nourrissaient de poisson, mais pas exclusivement car les ptérosaures et d’autres dinosaures figuraient également à leur menu. La question de leur possible mode de vie aquatique s’est donc naturellement posée, mais jusqu’à présent aucun indice ne permettait de le supposer.
Afin d’aborder ce problème écologique, une collaboration internationale entre des chercheurs français, chinois, anglais, thaïlandais, marocains et brésiliens a permis de rassembler des dents de spinosaures provenant de tous les continents ayant livré des restes de ces dinosaures. Les chercheurs ont ensuite analysé la composition isotopique de l’oxygène présent dans ces dents fossilisées, partant du principe que la composition isotopique de l’oxygène des dents des vertébrés terrestres actuels est différente de celle de leurs contemporains aquatiques (comme les crocodiles ou les hippopotames). De telles différences de composition isotopique résulte en effet de différences d’évaporation transcutanée et de quantité d’eau ingérée et excrétée entre animaux terrestres et aquatiques.
Considérant que des différences de physiologie similaires pouvaient exister chez les animaux du passé, ils ont donc comparé, au sein de chaque gisement, la composition isotopique de l’oxygène des restes de spinosaures avec celle de restes d’animaux aquatiques (crocodiles, tortues) et terrestres (autres dinosaures) qui coexistaient avec les spinosaures. Ils ont pu observer un écart significatif entre les spinosaures et les autres dinosaures carnivores mais une similitude avec les crocodiles et tortues aquatiques. Ce constat leur a permis de conclure que les spinosaures étaient adaptés physiologiquement à passer une grande partie de leur temps dans l’eau comme le font aujourd’hui les hippopotames alors que leur squelette ne montre pas d’adaptation poussée à un mode de vie aquatique.
Ainsi, du fait de leur adaptation à un mode de vie semi-aquatique, exceptionnelle chez ces grands prédateurs, les spinosaures exploitaient d’autres ressources naturelles que les autres dinosaures carnivores terrestres, limitant ainsi les compétitions pour la nourriture ou le territoire.
Références :
Amiot, R., Buffetaut, E., Lécuyer, C., Wang, X., Boudad, L., Ding, Z., Fourel, F., Hutt, S., Martineau, F., Medeiros, A., Mo, J., Simon, L., Suteethorn, V., Sweetman, S., Tong, H., Zhang, F. and Zhou, Z., (2010). Oxygen isotope evidence for semi-aquatic habits among spinosaurid theropods. Geology, 38, 139-142.
Source : CNRS
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