Des scientifiques ont découvert le squelette après crémation d’un enfant paléoindien parmi les vestiges d’un foyer vieux de 11 500 ans situé dans le centre de l’Alaska. Cette découverte offre un aperçu inédit sur la vie de ces anciens habitants de la région qui ont fait partie des premiers à coloniser le continent américain.
Cette mise au jour par Ben Potter de l’Université de l’Alaska Fairbanks et ses collègues est décrite dans le numéro du 25 février de la revue Science qui est éditée par l’AAAS, la société scientifique à but non lucratif.
« Le site est vraiment spectaculaire dans tous les sens du terme » souligne Potter. « La crémation est déjà significative en elle-même, mais son contexte est aussi important ».
Contrairement aux campements temporaires pour la chasse et autres sites spécialisés qui forment une grande partie des traces des premières occupations humaines en Amérique du Nord, le nouveau site d’habitation paraît avoir été saisonnier et utilisé durant l’été. Ses habitants, qui incluaient des femmes et des enfants, se nourrissaient selon l’équipe de Potter de poissons, d’oiseaux et de petits mammifères des alentours.
« Avant cette découverte, nous savions que les hommes chassaient du gros gibier comme des bisons ou des rennes avec des armes évoluées, et la plupart des sites que nous avons étudié étaient des campements pour la chasse. Ici en revanche, nous savons qu’il y avait de jeunes enfants et des femmes. Il s’agit donc d’un aspect complet d’une occupation humaine dont nous n’avions virtuellement aucune trace » précise-t-il.
« En tant qu’élément du pont terrestre de la Béringie, l’Alaska a été un carrefour important entre le Nouveau et l’Ancien Monde. Cette étude représente une contribution significative pour notre compréhension des premiers habitants de la Béringie et de leur culture » indique Brook Hanson, rédacteur pour les sciences physiques à Science.
Le jeune enfant est probablement mort, ce n’est pas encore clair, avant d’avoir été brûlé dans une grande fosse au centre de l’habitation. Cet endroit servait à plusieurs choses, notamment de cuisine et de décharge. Après la crémation, il a été comblé et l’endroit abandonné rapportent les chercheurs.
La découverte a été faite sur un site appelé « Upper Sun River », traduction du nom d’un endroit voisin en Athabaskan, Xaasaa Na’. Il se trouve dans une champ de dunes au sein de la forêt boréale des plaines de Tanana. L’enfant a été nommé Xaasaa Cheege Ts’eniin (ou Upward Sun River Mouth Child) par les Amérindiens locaux de la tribu de Healy Lake.
Le sol de l’habitation était creusé à environ 27 cm dans le sol. Des marques colorées y sont présentes qui suggèrent que des piliers ont dû être utilisés pour soutenir les parois ou le toit même si l’on ne sait pas encore très bien de quoi il était fait. Le site n’a pas encore été entièrement fouillé et l’on ignore donc encore sa taille totale.
La fosse centrale avait une forme ovale et était profonde de 45 cm. Sous le squelette, les chercheurs ont retrouvé des os de saumon, d’un genre de marmotte, de lagopède et d’autres petits animaux. Le squelette a été en lui-même une surprise car aucun reste humain plus ancien que quelques centaines d’années n’avait été trouvé jusqu’à présent en Alaska subarctique.
Seulement environ 20 pour cent du squelette a été préservé et ce qu’il en reste ne permet pas de déterminer le sexe de l’enfant. Les dents ont permis aux chercheurs d’estimer l’âge de l’enfant à environ 3 ans. Les autres ossements ne portent pas la marque de blessures ou de maladies, ce qui n’est pas surprenant car la plupart des problèmes de santé ne laissent pas de traces dans les os.
L’équipe de Potter n’a trouvé aucune trace claire d’objets qui auraient pu être associés à l’enterrement. Elle a bien mis au jour deux morceaux d’ocre rouge avec le squelette mais leur signification n’est pas claire. Si l’ocre rouge est associée aux enterrements dans le monde entier, elle a aussi de nombreux autres usages.
Cette absence d’objets symboliques est typique d’une société de chasseurs-cueilleurs mobile comme celle d’Upper Sun River pense Potter. Elle ne doit pas s’interpréter comme une marque de désintérêt pour la mort de l’enfant souligne le chercheur.
« Tout indique qu’ils ont porté de l’attention à cette mort. L’enterrement s’est fait dans la maison. Si vous considérez que l’habitation est le centre de beaucoup d’activités domestiques comme cuisiner, manger, dormir, et le fait qu’ils l’ont abandonnée peu après la crémation, il est clair que l’enfant a reçu un traitement attentionné » indique Potter.
Si ces traces appellent certainement des questions sur cette mort particulière, Potter et d’autres archéologues estiment que le site est peut-être encore plus intéressant par ce qu’il dévoile plus généralement sur le style de vie des premiers habitants de la région.
Bien que nombre d’éléments soient encore en débat, les chercheurs pensent que les premiers individus d’Amérique du Nord sont arrivés de Sibérie par le pont terrestre de la Béringie peu après la fin de la dernière glaciation, il y a 13 000 ans ou même avant. Les vestiges archéologiques datant de cette époque sont rares, notamment dans la région du nord autour de la mer de Béring appelée Béringie.
Les scientifiques n’ont découvert qu’une poignée d’habitations datant des deux premiers millénaires de l’occupation humaine en Amérique du Nord. Et si l’on excepte celle de Upper Sun River, elles sont toutes dans les États au sud de l’Alaska ou près du lac Ushki en Sibérie. Dans ce dernier endroit se trouve aussi le seul site d’enterrement connu de cette époque en Béringie.
Les outils de pierre retrouvés en Alaska central sur des sites contemporains entrent dans la catégorie de la technique dite des micro lames qui étaient de petites pointes de pierre taillées en lame de rasoir qui s’inséraient sur des manches en matière organique. Le peuple Clovis plus connu du centre de l’Amérique du Nord ne fabriquait pas de micro lames. En fait, les artefacts en pierre, la structure de l’habitation et les restes d’animaux trouvés à Upper Sun River ressemblent plus à ceux du lac Ushki en Sibérie qu’à tout ce qui a été trouvé ailleurs au sud.
« Nous avons ici le système technique de base qui relie l’Alaska à l’Ancien Monde » note Potter.
Les chercheurs se sont toujours demandés si à la fin du Pléistocène et au début de l’Holocène les peuples de l’Alaska central faisaient partie d’un ensemble culturel plus large ou s’ils appartenaient à des groupes différents. Les outils et autres vestiges présents à Upper Sun River, par leur similitude avec d’autres de la région, renforcent la seconde hypothèse arguent les chercheurs.
Durant toutes les fouilles, l’équipe de Potter a travaillé en étroite collaboration avec les chefs de la tribu de Healy Lake et d’autres Amérindiens locaux vivant dans le voisinage.
« La consultation des Amérindiens locaux n’est pas seulement un impératif éthique dans l’archéologie actuelle mais a aussi représenté pour moi un partenariat enrichissant et productif » souligne Potter.
« Nous nous sommes efforcés d’avoir des négociations claires et entières dès la découverte et même avant, et nous avons œuvré ensemble pour fonder un travail suivi sur cette trouvaille et sur de futures découvertes. »
Source: Natasha Pinol – American Association for the Advancement of Science
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