Une équipe internationale de scientifiques (1) en collaboration avec des chercheurs du Centre de recherche et de restauration des musées de France (CNRS/Ministère de la culture et de la communication), ont résolu un mystère chimique vieux de presque 200 ans : ils viennent d’identifier la réaction chimique complexe, responsable de la dégradation de tableaux emblématiques de Vincent Van Gogh et d’autres artistes de la fin du 19ème siècle. Pour la première fois, ils ont mis en évidence dans le jaune de chrome, un pigment utilisé par les peintres de cette époque, une réduction du chrome (2) à l’origine de l’assombrissement des couleurs des toiles de Van Gogh. Même si l’assombrissement du jaune de chrome était un phénomène connu, l’on ignorait encore le processus chimique exact impliqué dans cette altération. Les rayons UV seraient en grande partie responsables de cette dégradation. Ces résultats sont publiés sur le site de la revue Analytical Chemistry le 14 février 2011.
Ces résultats ont été obtenus par le CNR di Scienze e Tecnologie Molecolari (Italie), l’Université d’Anvers (Belgique), Delft University of Technology (Pays-Bas), le Centre de recherche et de restauration des musées de France (CNRS/Ministère de la culture et de la communication), le van Gogh Museum (Pays-Bas) et l’European Synchrotron Radiation Facility (ESRF, France).
L’utilisation de couleurs vives par Van Gogh dans ses tableaux est un tournant dans l’histoire de l’art : c’était pour lui le moyen d’évoquer des humeurs et des émotions, plutôt que d’utiliser ces couleurs de manière réaliste. Ceci n’aurait pu être possible sans les innovations majeures intervenues au 19ème siècle dans la fabrication des pigments. L’éclat des nouveaux pigments industriels tels que le jaune de chrome a permis à Van Gogh de parvenir à l’intensité que l’on retrouve, par exemple, dans les Tournesols. L’assombrissement du jaune de chrome sous l’effet des rayons du soleil est connu depuis la première moitié du 19ème siècle. Cependant, tous les tableaux d’époque ne sont pas affectés de la même façon et à la même vitesse.
Pour identifier le processus chimique incriminé dans l’assombrissement des toiles de Van Gogh, les chercheurs ont tout d’abord recueilli des échantillons issus des restes de trois tubes différents de peinture de jaune de chrome de l’époque. Une fois ces échantillons vieillis artificiellement pendant 500 heures à l’aide d’une lampe à UV, un seul d’entre eux, provenant d’un tube de peinture ayant appartenu à Rik Wouters (1882-1913), un peintre flamand issu du mouvement fauviste, a révélé un assombrissement important. En l’espace de trois semaines, la surface de la peinture jaune vif originale est devenue marron chocolat. Ceci confirme que tous les jaunes de chrome de cette période ne réagissent pas de la même manière, les jaunes les plus clairs étant ceux qui brunissent le plus vite aux rayons UV. Une analyse pointue effectuée ensuite au synchrotron européen de Grenoble (l’ESRF) sur cet échantillon réactif a révélé que l’assombrissement de la couche supérieure était lié à une réduction du chrome contenu dans le jaune de chrome, passant de Cr VI à Cr III. Les scientifiques ont également reproduit à partir d’anciennes recettes la peinture jaune de chrome que Rik Wouters utilisait et l’ont également soumis aux UV. Même résultat : l’effet d’assombrissement est également visible.
Au cours de la deuxième étape, les scientifiques ont examiné des micro-échantillons provenant des zones affectées sur deux tableaux de Van Gogh, Vue d’Arles avec iris (1888) et Berges de la Seine (1887), tous deux exposés au Musée Van Gogh d’Amsterdam. L’examen de ces échantillons grâce à cette même technique de micro-analyse X a confirmé la réaction chimique de réduction du chrome de Cr VI à Cr III sur ces tableaux.
La profondeur à laquelle les rayons du soleil pénètrent dans la peinture et altèrent la couleur de ses pigments est comprise entre un et trois micromètres (un millième de millimètre), ce qui rend l’analyse de la couche d’altération d’autant plus difficile. Ce sont les rayons du Soleil qui en favorisant la réduction du chrome, concourent à transformer le jaune de chrome en pigments marron, modifiant alors la composition originale. Mais les rayons UV ne sont vraisemblablement pas les seuls à incriminer dans ce processus. Les scientifiques ne vont pas s’arrêter là : d’autres expériences sont d’ores et déjà programmées afin d’identifier très précisément les conditions qui favorisent la réduction de chrome et s’il existe un espoir de rendre aux pigments leur état original dans les tableaux déjà affectés par ce phénomène. Car si le rôle de la lumière est ici clairement identifié dans la réduction du chrome, les analyses par micro-spectroscopie X ont également montré que l’altération était particulièrement importante en présence de composés chimiques contenant du baryum et du soufre (présents dans la peinture blanche). Ceci laisse supposer que la technique de Van Gogh consistant à mélanger de la peinture blanche à son jaune pour le rendre encore plus lumineux pourrait être également à l’origine de l’assombrissement de sa peinture. Cette découverte pourrait permettre d’empêcher que la couleur jaune vif des tableaux les plus célèbres de Van Gogh ne soit recouverte d’une pellicule sombre et qu’elle ne perde de son éclat au fil du temps grâce à des précautions particulières de conservation et d’exposition des œuvres (notamment aux rayons UV).
Notes :
(1) CNR di Scienze e Tecnologie Molecolari CNR-ISTM (Pérouse, Italie), Universiteit van Antwerpen (Anvers, Belgique), Delft University of Technology (Delft, Pays-Bas), Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France, (CNRS/Ministère de la culture et de la communication) (Paris, France), van Gogh Museum (Amsterdam, Pays-Bas), et European Synchrotron Radiation Facility ESRF (Grenoble, France).
(2) Réaction chimique impliquant un changement d’état d’odydation du chrome contenu dans le jaune de chrome, passant de Cr VI à Cr III.
Références :
L. Monico et al., Degradation Process of Lead Chromate in Paintings by Vincent van Gogh Studied by Means of Synchrotron X-ray Spectromicroscopy and Related Methods. 1. Artificially Aged Model Samples and 2. Original Paint Layer Samples, Analytical Chemistry xxx, 2011.
Source: communiqué de presse du CNRS
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