Grâce à une vaste étude visant à établir une cartographie génétique des populations de moustiques transmettant le paludisme au Burkina Faso, des chercheurs de l’Institut Pasteur et du CNRS ont découvert une nouvelle sous-espèce du moustique Anopheles gambiae, principal vecteur de la maladie. Ce groupe, qui peut être particulièrement efficace pour transmettre et disséminer le parasite, a été identifié grâce à des méthodes de collecte et d’échantillonnage inédites, prenant pour la première fois en compte le comportement des moustiques. Les résultats de cette étude, publiés dans la revue Science, soulignent d’ores et déjà l’importance d’inclure cette composante comportementale aux stratégies de lutte vectorielle, afin de leur garantir une portée étendue à l’ensemble des populations de moustiques vecteurs du paludisme.
Jusqu’à présent, les études de terrain visant à étudier l’aptitude des moustiques Anopheles gambiae à transmettre le paludisme avaient été entreprises en suivant l’hypothèse que les hommes se font principalement piquer la nuit, en zones domestiques, au sein des habitations. Pour induire un biais minimal dans la collecte des insectes vecteurs, celle-ci était donc réalisée dans les villages, à l’intérieur même des maisons.
Des chercheurs de l’unité de Génétique et génomique des insectes vecteurs (Institut Pasteur/CNRS URA 3012) ont, eux, choisi de prendre le contre-pied de cette hypothèse. En collaboration avec le Centre National de Recherche et de Formation sur le Paludisme (Ouagadougou, Burkina Faso), l’Université du Minnesota (Etats-Unis) et l’Université Harvard (Etats-Unis), ils ont considéré que les moustiques collectés ne représentaient qu’une partie de l’ensemble des populations d’A. gambiae. Les échantillonnages ainsi réalisés ne permettent en effet de recueillir que les moustiques qui piquent et se reposent dans les maisons, et non ceux qui n’y rentrent que pour se nourrir et en ressortent après leur repas sanguin, ni ceux qui n’entrent jamais dans les maisons.
Dans le cadre d’un important projet au Burkina Faso visant à cartographier chez A. gambiae les gènes de sensibilité au parasite du paludisme, les scientifiques ont ainsi échantillonné pendant quatre ans, sur une bande de plus de 400 km à travers le pays, les insectes adultes et les larves présents dans les zones domestiques et péridomestiques, à l’intérieur comme à l’extérieur des habitations. Les collectes de larves ont été effectuées à partir de flaques d’eau situées près des habitations, supposées abriter l’ensemble des populations de moustiques vecteurs, et non pas uniquement ceux qui se reposent à l’intérieur.
Les chercheurs ont ainsi découvert une nouvelle sous-population d’A. gambiae, jamais décrite auparavant, qui représente plus de la moitié des moustiques prélevés. Ce nouveau groupe a été baptisé A. gambiae Goundry, du nom d’un village où ces insectes ont été retrouvés. Il s’agit de moustiques exophiles, c’est-à-dire d’insectes qui piquent et vivent dehors, ou qui piquent à l’intérieur des maisons mais en ressortent ensuite pour se reposer. Cela explique qu’ils n’aient jamais été recueillis par les méthodes traditionnelles d’échantillonnage.
Les analyses génomiques menées par les chercheurs de l’Institut Pasteur et du CNRS ont montré que, bien qu’appartenant à l’espèce A. gambiae, les moustiques Goundry étaient génétiquement très différents des moustiques connus jusqu’alors. Ils présentent une forte sensibilité au parasite du paludisme, qui se développe efficacement dans leur organisme. Cela pourrait les rendre particulièrement aptes à transmettre la maladie.
Cette découverte surprenante pourrait expliquer en partie pourquoi les mesures de lutte antivectorielle actuelles, appliquées à l’intérieur des maisons et donc uniquement dirigées contre les moustiques qui se reposent au sein des habitations, ne parviennent pas à réduire de manière pleinement satisfaisante la transmission du paludisme à l’homme. Elle souligne donc la nécessité de redéfinir les stratégies de contrôle de la maladie, en prenant en compte la composante comportementale des moustiques, afin de pouvoir toucher l’ensemble des insectes vecteurs.
Références :
A cryptic subgroup of Anopheles gambiae is highly susceptible to human malaria parasites, Science, 4 février 2011.
Michelle M. Riehle (1,2,#), Wamdaogo M. Guelbeogo (3,#), Awa Gneme (3), Karin Eiglmeier (1), Inge Holm (1), Emmanuel Bischoff (1), Thierry Garnier (1), Gregory M. Snyder (2), Xuanzhong Li (4), Kyriacos Markianos (4), N’Fale Sagnon (3), Kenneth D. Vernick (1,2).
(1) Institut Pasteur, Unit of Insect Vector Genetics and Genomics, Department of Parasitology and Mycology, CNRS Unit of Hosts, Vectors and Pathogens (URA3012), Department of Environment and Sustainable Development (EDD), 28 rue du Docteur Roux, Paris 75015, FRANCE.
(2) University of Minnesota, Department of Microbiology, 1500 Gortner Avenue, Saint Paul, MN 55108, USA.
(3) Centre National de Recherche et de Formation sur le Paludisme, 1487 Avenue de l’Oubritenga, 01 BP 2208 Ouagadougou, BURKINA FASO.
(4) Program in Genomics, Children’s Hospital Boston, Harvard Medical School, 3 Blackfan Street, Boston, MA 2115, USA.
# MMR et WMG ont contribué de manière équivalente à ce travail.
Source: communiqué de presse du CNRS
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