Certaines molécules existent sous deux formes qui sont l’image symétrique l’une de l’autre dans un miroir : elles sont dites chirales. Or, sur Terre, les molécules chirales du vivant, notamment les acides aminés et les sucres, ne sont présentes que sous une seule forme : gauche ou droite. Comment la vie a-t-elle privilégié l’une de ces deux formes au détriment de l’autre ? Un consortium réunissant plusieurs équipes françaises piloté par Louis d’Hendecourt (1), directeur de recherche CNRS à l’Institut d’astrophysique spatiale (Université Paris-Sud 11 / CNRS), a pour la première fois obtenu un excès de molécules de forme gauche (puis un excès de forme droite) dans des conditions reproduisant celles de l’espace interstellaire. Ce résultat rend donc possible une origine « cosmique » de l’asymétrie des molécules biologiques sur Terre. Les chercheurs suggèrent également que la nébuleuse solaire s’est formée dans une zone d’étoiles massives. Ces travaux viennent d’être publiés en ligne sur le site de The Astrophysical Journal Letters. Réalisée au synchrotron SOLEIL, cette expérience a été menée en collaboration avec le Laboratoire de chimie des molécules bioactives et des arômes (Université de Nice/CNRS) et a bénéficié du soutien du CNES.
Quelle est l’origine de cette asymétrie dans la matière biologique ? Deux hypothèses principales s’affrontent. La première suppose que la vie serait apparue à partir d’un mélange contenant 50% d’un énantiomère et 50% de l’autre (mélange dit racémique), et que l’homochiralité serait survenue progressivement au cours de l’évolution. La seconde estime que l’asymétrie menant à l’homochiralité serait antérieure à l’apparition de la vie, et d’origine « cosmique ». Elle est étayée par la détection d’excès en L sur certains acides aminés extraits de météorites primitives. Suivant ce scénario, ces acides aminés auraient été synthétisés dans l’espace interstellaire de manière non racémique et véhiculés sur Terre par des grains cométaires et des météorites. Pour conforter cette hypothèse, les chercheurs ont tout d’abord reproduit en laboratoire des analogues de glaces interstellaires et cométaires (2). Principale originalité de leur expérience : les glaces ont été soumises, sur la ligne DESIRS du synchrotron SOLEIL, à un rayonnement ultra-violet « polarisé circulairement » (UV-CPL) (3), censé mimer les conditions rencontrées dans certains milieux spatiaux. Lors du réchauffement de ces glaces, un résidu organique a été produit. Une analyse fine de ce mélange a révélé qu’il contenait un excès énantiomérique significatif d’un acide aminé chiral, l’alanine. Supérieur à 1,3%, cet excès est comparable à celui mesuré dans les météorites primitives. Ainsi, les chercheurs sont parvenus à produire, dans des conditions interstellaires, des molécules « du vivant » asymétriques à partir d’un mélange ne contenant pas de substances chirales. C’est la première fois qu’une piste expliquant l’origine de cette asymétrie est démontrée par une expérience reproduisant une synthèse entièrement naturelle.
Ce résultat conforte l’hypothèse selon laquelle l’origine de l’homochiralité serait prébiotique et cosmique, c’est-à-dire réellement interstellaire. Selon ce scénario, l’apport de matière organique « extraterrestre » comportant un excès énantiomérique synthétisé via un processus astrophysique asymétrique (ici, il s’agit d’un rayonnement UV-CPL) serait à l’origine de l’asymétrie des molécules du vivant sur Terre. Cette matière pourrait même avoir été formée en-dehors du système solaire. Enfin, la nébuleuse solaire pourrait s’être constituée dans des régions de formation d’étoiles massives. En effet, dans de telles régions, un rayonnement infrarouge polarisé circulairement dans un même sens est observé. Au-delà de ces résultats, la sélection d’un seul énantiomère constatée sur Terre pour les molécules du vivant ne serait pas le fruit du hasard, mais bien celui d’un mécanisme physique déterministe.
Notes :
(1) médaille d’argent 2003 du CNRS
(2) Louis d’Hendecourt a développé dans les années 80 une technique pour générer en laboratoire des analogues de glaces interstellaires.
(3) La nébuleuse d’Orion produit de la lumière polarisée circulairement à 17 % dans l’infrarouge. Selon les calculs, elle rayonnerait également dans l’ultraviolet, un rayonnement capable de casser les liaisons covalentes (fortes) entre les atomes des molécules de glace.
Références :
Non-racemic amino acid production by ultraviolet irradiation of achiral interstellar ice analogs with circularly polarized light. Pierre de Marcellus, Cornelia Meinert, Michel Nuevo, Jean-Jacques Filippi, Grégoire Danger, Dominique Deboffle, Laurent Nahon, Louis Le Sergeant d’Hendecourt, and Uwe J. Meierhenrich. The Astrophysical Journal Letters. , vol. 727 (issue 2), L27 (2011).
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Source: communiqué de presse du CNRS
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