Une équipe européenne d’astronomes a déterminé la distance de la galaxie la plus éloignée jamais observée en utilisant le très grand télescope (VLT) de l’ESO. En analysant soigneusement la lueur extrêmement faible provenant de la galaxie, ces astronomes ont constaté qu’ils étaient en train de l’observer alors que l’Univers avait à peine 600 millions d’années (le décalage vers le rouge, ou redshift, est de 8,6). Il s’agit des premières observations confirmées d’une galaxie dont la lumière dissipe l’opaque brouillard d’hydrogène qui emplissait le cosmos dans les premiers temps de l’Univers. Ce résultat est publié dans la revue Nature du 21 octobre 2010.
« En utilisant le Very Large Telescope de l’ESO, nous avons confirmé qu’une galaxie repérée auparavant avec le télescope spatial Hubble était l’objet le plus lointain dans l’Univers, jamais observé jusqu’à présent », [1] déclare Matt Lehnert (Observatoire de Paris – Laboratoire « Galaxies, étoiles, physique, instrumentation », CNRS, Université Paris Diderot), premier auteur de l’article scientifique présentant ces résultats. « La puissance du VLT et de son spectrographe SINFONI nous permet de mesurer avec exactitude la distance de cette galaxie très peu lumineuse et nous constatons que nous la voyons lorsque l’Univers avait moins de 600 millions d’années. »
L’étude de ces premières galaxies est extrêmement difficile. Du fait du temps nécessaire pour que leur lumière, initialement éclatante, atteigne la Terre, elles nous apparaissent très peu lumineuses et petites. De plus, la majorité de cette faible lumière est décalée vers la partie infrarouge du spectre car sa longueur d’onde est étirée par l’expansion de l’Univers – un effet connu en anglais sous le nom de redshift. Pour accentuer la difficulté, dans ces premiers temps, moins d’un milliard d’années après le Big Bang, l’Univers n’était pas entièrement transparent. Il était alors presque entièrement rempli d’un brouillard d’hydrogène qui absorbait le violent rayonnement ultraviolet émis par les jeunes galaxies. La période pendant laquelle le brouillard était encore en cours de dissipation par ce rayonnement ultraviolet est appelée période de réionisation [2]. En dépit de ces difficultés, la nouvelle caméra à grand champ (la Wide field Camera 3) installée au foyer du télescope spatial Hubble de la NASA/ESA a découvert en 2009 [3] plusieurs objets constituant de sérieux candidats pour être des galaxies observées à cette période de réionisation. La confirmation des distances pour des objets si faibles et si éloignés constitue un énorme défi. Ces distances peuvent seulement être déterminées en utilisant les spectrographes qui équipent les très grands télescopes au sol [4] pour mesurer le décalage vers le rouge de la lumière des galaxies.
Matt Lehnert explique : « Après l’annonce des galaxies « candidates » détectées par Hubble, nous avons fait un rapide calcul et nous avons été enthousiastes en constatant que la très grande puissance collectrice du VLT, lorsqu’il est associé à la sensibilité du spectroscope infrarouge SINFONI et à une très longue durée d’observation, doit nous permettre de détecter la lueur extrêmement faible d’une de ces galaxies très éloignées et de mesurer sa distance. »
Grâce à une requête spéciale adressée au Directeur Général de l’ESO, cette équipe a obtenu du temps de télescope avec le VLT et a observé une galaxie candidate appelée UDFy-38135539 [5] pendant 16 heures. Après deux mois d’analyses méticuleuses et de tests de leurs résultats, les chercheurs ont constaté qu’ils avaient clairement détecté la lueur très faible de l’hydrogène avec un décalage vers le rouge de 8,6, ce qui fait de cette galaxie l’objet le plus éloigné jamais confirmé par la spectroscopie. Un décalage vers le rouge de 8,6 correspond en effet à une galaxie observée juste 600 millions d’années après le Big Bang.
Nicole Nesvadba, co-auteur de l’article scientifique (Institut d’Astrophysique Spatiale, CNRS, Université Paris-Sud 11,) résume ce travail, « Mesurer le décalage vers le rouge de la galaxie la plus distante détectée jusqu’à présent est un travail vraiment enthousiasmant en lui-même, mais les implications astrophysiques de cette détection sont bien plus importantes. C’est la première fois que nous savons avec certitude que nous observons une des galaxies ayant percé le brouillard qui remplissait le très jeune Univers ».
Une des choses étonnantes au sujet de cette découverte c’est que la lueur d’UDFy-38135539 semble ne pas être assez forte pour dissiper toute seule le brouillard d’hydrogène.
« Il doit y avoir d’autres galaxies, probablement plus faibles, moins massives et proches d’UDFy-38135539, qui ont également aidé à rendre l’espace transparent autour de cette galaxie. Sans cette aide additionnelle, la lumière de la galaxie, quel que soit son éclat, aurait été absorbée dans le brouillard d’hydrogène environnant et nous n’aurions pas pu la détecter », explique Mark Swinbank (Université de Durham) et co-auteur de l’article.
Jean-Gabriel Cuby (Laboratoire d’Astrophysique de Marseille, CNRS, Université de Provence), un autre co-auteur, remarque que « l’étude de la période de réionisation et de la formation des galaxies pousse au maximum de leurs possibilités les télescopes et les instruments existant, mais c’est justement ce type de problématique scientifique qui sera « monnaie courante » quand l’European Extremly Large Telescope (E-ELT) de l’ESO – qui sera le plus grand télescope optique et proche infrarouge au monde – sera opérationnel.
Notes
[1] Un précédent résultat de l’ESO (eso0405) présentait un objet encore plus éloigné (avec un redshift de 10). Cependant, les recherches qui ont été effectuées par la suite n’ont pas permis de trouver un objet avec une brillance similaire à cet emplacement et de plus récentes observations avec le télescope spatial Hubble de la NASA ont été peu concluantes. L’identification de cet objet à une galaxie à très grand redshift n’est plus considérée comme valable par la plupart des astronomes.
[2] Lorsque l’Univers s’est refroidi après le Big Bang, il y a environ 13,7 milliards d’années, les électrons et les protons se sont combinés pour former de l’hydrogène. Ce gaz sombre et froid est le principal constituant de l’Univers pendant la période que l’on appelle l’« Âge sombre », quand il n’y avait aucun objet émettant de la lumière. Cette phase s’est finalement achevée lorsque les premières étoiles se sont formées, leur rayonnement ultraviolet intense rendant lentement le brouillard d’hydrogène à nouveau transparent en re-séparant les atomes d’hydrogène en électrons et en protons, un processus appelé la réionisation. Dans l’histoire des débuts de l’Univers, cette époque a duré environ 150 à 800 millions d’années après le Big Bang. Comprendre comment la réionisation s’est produite et comment les premières galaxies se sont formées et ont évolué est l’un des principaux défis de la cosmologie contemporaine.
[3] Ces observations effectuées par Hubble sont présentées à cette adresse (en anglais) : http://www.spacetelescope.org/news/heic1001/
[4] Les astronomes ont deux méthodes principales pour trouver et mesurer les distances des galaxies les plus lointaines. Ils peuvent prendre des images très profondes avec différents filtres de couleurs et mesurer la luminosité de beaucoup d’objets à différentes longueurs d’onde. Ils comparent alors ces objets avec ce qui est prévu pour des galaxies de différents types et à différentes périodes de l’histoire de l’Univers. C’est la seule manière actuellement disponible pour découvrir ces galaxies et c’est la technique utilisée par l’équipe du HST. Mais cette technique n’est pas toujours fiable. Par exemple, ce qui peut sembler être une galaxie peu lumineuse et très éloignée peut parfois s’avérer être une banale étoile froide appartenant à notre Voie lactée.
Une fois que des candidats sont trouvés, une estimation plus fiable de leur distance (en la mesurant avec le redshift) peut être obtenue en décomposant la lumière provenant de ces objets dans leurs différentes couleurs et en cherchant des signes révélateurs de l’émission de l’hydrogène ou d’autres éléments dans la galaxie. Cette approche spectroscopique est le seul moyen permettant aux astronomes d’obtenir les mesures les plus fiables et les plus précises de la distance.
[5] Ce nom étrange indique que cette galaxie candidate a été détectée dans la région de recherche de l’ « Ultra Deep Field » (le champ ultra profond) et le numéro indique sa position précise dans le ciel.
Plus d’informations
Cette recherche est présentée dans un article publié dans Nature le 21 octobre 2010 : Spectroscopic confirmation of a galaxy at redshift z=8.6, Lehnert et al.
L’équipe est composée de M. D. Lehnert (Observatoire de Paris – Laboratoire GEPI / CNRS-INSU / Université Paris Diderot, France), N. P. H. Nesvadba (Institut d’Astrophysique Spatiale / CNRS-INSU / Université Paris-Sud, France), J.-G.Cuby (Laboratoire d’Astrophysique de Marseille / CNRS-INSU / Université de Provence, France), A. M. Swinbank (University of Durham, UK), S. Morris (University of Durham, UK), B. Clément (Laboratoire d’Astrophysique de Marseille / CNRS-INSU / Université de Provence, France), C. J. Evans (UK Astronomy Technology Centre, Edinburgh, UK), M. N. Bremer (University of Bristol, UK) et S. Basa (Laboratoire d’Astrophysique de Marseille / CNRS-INSU / Université de Provence, France).
L’ESO – l’Observatoire Européen Austral – est la première organisation intergouvernementale pour l’astronomie en Europe et l’observatoire astronomique le plus productif au monde. L’ESO est soutenu par 14 pays : l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, le Danemark, l’Espagne, la Finlande, la France, l’Italie, les Pays-Bas, le Portugal, la République Tchèque, le Royaume-Uni, la Suède et la Suisse. L’ESO conduit d’ambitieux programmes pour la conception, la construction et la gestion de puissants équipements pour l’astronomie au sol qui permettent aux astronomes de faire d’importantes découvertes scientifiques. L’ESO joue également un rôle de leader dans la promotion et l’organisation de la coopération dans le domaine de la recherche en astronomie. L’ESO gère trois sites d’observation uniques, de classe internationale, au Chili : La Silla, Paranal et Chajnantor. À Paranal, l’ESO exploite le VLT « Very Large Telescope », l’observatoire astronomique observant dans le visible le plus avancé au monde et VISTA, le plus grand télescope pour les grands relevés. L’ESO est le partenaire européen d’ALMA, un télescope astronomique révolutionnaire. ALMA est le plus grand projet astronomique en cours de réalisation. L’ESO est actuellement en train de programmer la réalisation d’un télescope européen géant – l’E-ELT- qui disposera d’un miroir primaire de 42 mètres de diamètre et observera dans le visible et le proche infrarouge. L’E-ELT sera « l’œil tourné vers le ciel » le plus grand au monde.
Liens
- L’article scientifique publié dans Nature
- Plus d’informations à propos de la réionisation: http://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9ionisation
- Les simulations de la réionisation faites par Marcelo Alvarez : http://www.cita.utoronto.ca/~malvarez/index.shtml
Source: ESO
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