De savon, de soda ou d’eau de mer, quand une bulle éclate, elle ne disparaît pas simplement mais se divise en un anneau constitué de bulles plus petites, entraînant une cascade d’éclatements de bulles. Ce phénomène universel vient d’être découvert et modélisé par des physiciens du CNRS de l’Institut de physique de Rennes (CNRS/Université Rennes 1) et des Universités de Harvard et de Princeton aux Etats-Unis. Ces travaux publiés dans la revue Nature, pourraient trouver des applications en industrie et en océanographie.
A l’Université de Harvard (1), alors qu’ils étudiaient comment s’étalent des bulles sur différentes surfaces, James C. Bird et son collègue français Laurent Courbin, ont observé les « anneaux » résultant de l’éclatement de ces bulles. Ils ont ensuite réalisé que ces anneaux étaient visibles un peu partout : dans une flaque d’eau un jour de pluie, dans l’évier quand on lave sa vaisselle, sur l’écume à la surface de l’océan… Et si ce phénomène avait déjà été observé, on ne connaissait pas son origine.
Après avoir fait part de leur découverte au responsable d’équipe et co-auteur Howard A. Stone, les chercheurs ont décidé d’étudier en détail l’éclatement de bulles interfaciales, c’est à dire de bulles en contact avec une interface liquide/gaz ou solide/gaz. Ils montrent que quand elles éclatent, ces bulles se multiplient au lieu de simplement disparaître. Ce processus, qui conduit à une plus grande population de bulles de plus petite taille, est itératif et donne lieu à une cascade d’éclatements de bulles.
Les scientifiques français et américains ont élucidé et modélisé le mécanisme en deux temps à l’origine de ce résultat étonnant. Les expériences montrent que, lorsqu’une bulle éclate, le film liquide qui se rétracte entraîne tout d’abord la formation d’un tube courbé refermé sur lui-même (comparable à un « donut », le fameux beignet américain). Une telle structure cylindrique de fluide est instable et par la suite, elle se déstabilise en un anneau constitué de bulles environ dix fois plus petites que la bulle initiale.
Ce processus d’éclatement est trop rapide pour être visible à l’œil nu. Les chercheurs l’ont filmé à l’aide d’une caméra rapide (2). En étudiant attentivement les différentes étapes survenant lors de l’éclatement que dévoilent ces vidéos, l’équipe de recherche a développé des simulations numériques qui reproduisent le mécanisme de repliement observé expérimentalement.
Les chercheurs ont également identifié les paramètres clefs du fluide qu’il convient de modifier pour maîtriser le phénomène et éventuellement le supprimer. Ces études pourraient profiter à des procédés industriels comme la production de verre, pour lesquels la présence de bulles interfaciales et leurs effets sont préjudiciables. Des procédés industriels utilisant des mousses pourraient également bénéficier de ces résultats : en effet l’éclatement et la disparition d’une bulle dans une mousse est l’un des mécanismes par lesquels elle vieillit.
Depuis une cinquantaine d’années on sait que lorsque de petites bulles éclatent à la surface d’un liquide, des petites gouttelettes sont projetées en l’air. C’est ce phénomène qui explique pourquoi on peut avoir le visage aspergé quand on boit un soda ! Ces travaux montrent qu’une seule grande bulle, quand elle éclate, est elle aussi à l’origine de la formation d’une multitude de petites bulles, elles-mêmes sources de projection de gouttelettes. La compréhension de ce phénomène pourrait éclairer le rôle joué par les grandes bulles interfaciales dans la formation des aérosols (3), et plus particulièrement des embruns. Les fines gouttelettes qui composent les embruns assurent les échanges des océans vers l’atmosphère, notamment le transport des particules marines. De plus, les petites bulles créées ont une plus grande pression interne, ce qui accroît les transferts de gaz dans le liquide ainsi que l’efficacité de production d’aérosols de gouttelettes, induits par l’éclatement.
Les mécanismes physiques à l’origine de l’éclatement des bulles seraient indépendants de la nature de la bulle. Les scientifiques ont en effet été surpris de constater que l’on observait la formation d’anneaux avec des liquides assez visqueux comme de l’huile et même avec des solutions jusqu’à 5000 fois plus visqueuses que l’eau. Ils vont maintenant chercher à savoir si ce phénomène s’applique à des matières plus originales comme le verre en fusion, la lave ou la boue.
Visualiser le film (Supplementary Movie 3.mov) montrant l’éclatement des bulles et la formation des anneaux de petites gouttes : http://www.nature.com/nature/journal/v465/n7299/abs/nature09069.html#supplementary-information
Ce film montre l’éclatement d’une bulle en contact avec une surface solide, et met en évidence le mécanisme en deux temps conduisant à la formation d’un anneau formé de bulles environ 10 fois plus petites que la bulle initiale. Le phénomène est simultanément enregistré de coté (à gauche sur la vidéo) et de dessous (à droite sur la vidéo). Temps donné en millième de seconde.
Notes :
(1) Harvard School of Engineering and Applied Sciences (SEAS)
(2) Il s’agit d’une caméra capable d’enregistrer des événements se produisant à des échelles de temps aussi petites que le millième de seconde.
(3) Un aérosol est un ensemble de particules, solides ou liquides, en suspension dans un milieu gazeux.
Références :
Daughter bubble cascades produced by folding of ruptured thin films
James C. Bird1, Riëlle de Ruiter1, Laurent Courbin2, & Howard A. Stone1,3
1- School of Engineering and Applied Sciences, Harvard University,
Cambridge, MA 02138, USA
2- Institut de Physique de Rennes, UMR CNRS 6251, Campus Beaulieu, Université
Rennes 1, 35042 Rennes, France
3- Department of Mechanical and Aerospace Engineering, Princeton University,
Princeton, NJ 08544, USA
Nature 465, 759-762 (10 June 2010) | doi:10.1038/nature09069
Source: communiqué de presse du CNRS
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