Comprendre les mécanismes physiques qui permettent de déplacer une goutte en propageant une onde acoustique le long du substrat sur lequel elle repose : c’est le pari réussi des chercheurs de l’Institut d’électronique de microélectronique et nanotechnologies (CNRS/Université Lille 1/Ecole Centrale de Lille). Ils sont parvenus à détailler la structure des ultrasons qui se propagent dans la goutte et entraînent son oscillation puis son déplacement. Ces résultats, publiés dans la revue Physical Review E, pourraient être mis à profit pour optimiser les analyses biochimiques réalisées sur des puces à ADN, qui utilisent des gouttes de liquides biologiques.
Les chercheurs lillois ont étudié la dynamique d’une petite goutte posée sur un substrat, le long duquel se propage une onde acoustique (1), comparable aux premières ondes détectées par les sismographes au cours de secousses sismiques. Quel est l’effet de ce mini tremblement de terre sur la goutte ? Les chercheurs observent (voir le film ci-dessous, réalisé à la caméra rapide à 5000 images par seconde) que la goutte se déplace dans le sens de propagation de l’onde à une vitesse pouvant atteindre quelques centimètres par seconde. De plus, la forme de la goutte est modifiée : la goutte se met à osciller et elle est périodiquement étirée vers le haut et aplatie.
Pourquoi cette dynamique ? Les ondes acoustiques propagées présentent la particularité de se déplacer uniquement à la surface du substrat, sans y pénétrer. Elles ne subissent donc pas de déviation ou de réflexion et sont ainsi peu atténuées. Leur amplitude, de l’ordre du nanomètre, et leur fréquence, autour de 20 MHz (2), produisent des accélérations significatives : le substrat subit des déformations locales de 1 à 2 nanomètres répétées à un intervalle très court, ce qui fait osciller la goutte, la déforme et entraîne son déplacement dans le sens de propagation de l’onde.
Si l’on avait déjà observé ce phénomène, on ne connaissait pas les mécanismes physiques qui en étaient à l’origine. L’équipe de l’Institut d’électronique de microélectronique et nanotechnologies (CNRS/Université Lille 1/Ecole Centrale de Lille). en réunissant des concepteurs de microsystèmes, des acousticiens et des dynamiciens des fluides, ont identifié les mécanismes acousto-fluidiques conduisant à cette dynamique oscillatoire surprenante. Ils ont en effet réalisé une étude quantitative expérimentale ainsi que des simulations numériques qui leur ont donné la structure détaillée de l’onde acoustique à l’intérieur de la goutte.
Ils montrent que l’onde acoustique est en partie rayonnée dans le liquide, et en raison de la viscosité de ce dernier, il se crée un phénomène dit « d’acoustic streaming », comparable au phénomène qui produit un léger courant d’air à proximité d’un haut-parleur puissant. Ainsi, l’onde acoustique peut produire un écoulement constant et directionnel. Un autre phénomène s’additionne au précédent : si l’onde acoustique n’est que partiellement atténuée par la viscosité du liquide, elle parvient à atteindre l’interface entre le liquide et l’air de la goutte. La conservation de la quantité de mouvement à cette interface et la différence d’indices acoustiques entre l’eau et l’air induisent alors une pression de radiation qui déforme l’interface. Cette pression couplée à la dynamique propre de la goutte crée des oscillations.
Les applications de ce phénomène sont multiples. Tout d’abord, déplacer des petites gouttes permet de sécher sélectivement certaines parties d’une surface. Cette propriété pourrait être utile lorsque des gouttes sont confinées dans certaines zones d’une surface difficile d’accès.
Les gouttes sont par ailleurs de plus en plus utilisées pour réaliser des réactions biochimiques sur des puces à ADN. Cette technique permet avec une toute petite quantité de liquide biologique de tester toute une batterie de candidats médicaments par exemple ou de réaliser de nombreuses réactions enzymatiques. L’intérêt est de diminuer fortement le coût des tests. Or, en raison de la petite taille d’une goutte, il est difficile d’y assurer un mélange et les réactions sont très lentes. L’utilisation des ondes acoustiques permet de mélanger continuellement les composants et ainsi d’augmenter la rapidité des réactions. En comprenant comment agissent les ondes acoustiques sur le déplacement des gouttes, les chercheurs pourront optimiser ces réactions.
Télécharger la vidéo (clic-droit, enregistrer le cible sous)
Notes :
(1) Onde acoustique ultrasonore de surface ou onde de Rayleigh.
(2) On parle ainsi d’ondes ultrasonores, car elles sont supérieures aux fréquences audibles, comprises entre 20 Hz et 20 kHz.
Références :
Droplets displacement and oscillations induced by ultrasonic surface acoustic waves: a quantitative study
P. Brunet, M. Baudoin, O. Bou Matar and F. Zoueshtiagh. Physical Review E, 19 mars 2010.
Source: CNRS
Laisser un commentaire