Le grand albatros mâle, qui peut vivre plus de 50 ans, modifie son comportement de recherche alimentaire avec l’âge. Des chercheurs du CNRS, en collaboration avec l’Université de Bourgogne, ont pour la première fois mis en évidence ces changements en étudiant le vieillissement de cet oiseau en conditions naturelles. Les scientifiques ont ainsi découvert que les mâles âgés vont pêcher dans d’autres eaux que les mâles plus jeunes, et se montrent moins actifs à la surface de l’eau. Toutefois, aucun marqueur classique du vieillissement humain n’est altéré chez les « vieux » albatros, soulignant l’importance de prendre en compte la performance de recherche alimentaire dans les études sur le vieillissement. Leurs travaux, menés avec le soutien notamment de l’IPEV (1) et de la Fondation Albert II de Monaco, sont publiés en ligne cette semaine sur le site de la revue PNAS.
Le vieillissement des animaux, dont les causes sont de mieux en mieux connues en laboratoire, est très rarement étudié en milieu naturel. Des chercheurs de l’équipe « prédateurs marins » du Centre CNRS d’études biologiques de Chizé, en collaboration avec l’unité «Biogéosciences-Dijon» (CNRS / Université de Bourgogne), se sont intéressés aux grands albatros qui se distinguent des autres oiseaux par leur extraordinaire longévité (2) (plus de 50 ans). De par cette durée de vie proche de celle de l’homme, ils constituent des modèles uniques pour l’étude du vieillissement en milieu naturel. Ce sont de grands voyageurs : ils parcourent durant leur vie des millions de kilomètres dans l’océan Austral, ne revenant à terre que pour se reproduire, une fois tous les deux ans. Leur performance reproductive décline à partir de trente ans, mais les causes de ce déclin restaient jusqu’à présent inconnues.
Les scientifiques ont initié la première étude pluridisciplinaire portant sur le vieillissement de ces oiseaux marins en conditions naturelles. Pour cela, ils ont observé une centaine d’albatros âgés de 6 à 49 ans se reproduisant sur l’île de la Possession dans l’archipel de Crozet (Terres australes et antarctiques françaises). Grâce à des appareils miniaturisés (balises Argos et enregistreurs d’activité), ils ont pu analyser les voyages en mer des oiseaux pendant la période d’incubation de l’œuf.
Les chercheurs ont ainsi découvert que les albatros mâles les plus âgés se nourrissent dans des zones océaniques quelque peu différentes de celles des plus jeunes. Pour des raisons encore mystérieuses, pour se nourrir pendant la période d’incubation, ils effectuent de très longs périples à plus de 3 000 km du nid dans les eaux froides de l’Antarctique. Moins actifs à la surface de l’eau, ils reviennent à terre avec des taux d’hormones de stress élevés, ce qui suggère une baisse de la performance de recherche alimentaire (un paramètre très difficilement mesurable hors conditions naturelles). Seuls les mâles semblent modifier leur stratégie de recherche alimentaire avec l’âge. Aucune différence n’est observée entre les femelles âgées de plus de 30 ans et celles plus jeunes.
En parallèle, les chercheurs ont mesuré sept paramètres physiologiques naturellement associés au vieillissement chez l’homme, dont le taux d’hormone de stress (corticostérone), le taux d’hormone parentale (prolactine), le degré de stress oxydant, la capacité du plasma à répondre à une attaque de radicaux libre et le niveau d’immunité humorale. Contre toute attente, aucune variation de ces paramètres n’a été détectée au sein de cette population chez les albatros les plus avancés en âge (entre 30 et 49 ans). Ces derniers se maintiendraient donc à un niveau physiologique « normal ».
Cette étude est la première à démontrer directement que plusieurs aspects du comportement alimentaire déclinent avec l’âge, en conditions naturelles, sans être la conséquence d’un mauvais état physiologique. Ainsi, la baisse de la performance en termes de recherche alimentaire pourrait être l’un des premiers signes du vieillissement.
Effectués pendant l’Année polaire internationale, ces travaux ont bénéficié des soutiens de l’Institut polaire français Paul-Émile Victor, des Terres australes et antarctiques françaises et de la Fondation Albert II de Monaco.
Notes :
(1) Institut polaire français Paul-Emile Victor
(2) La durée de vie des oiseaux est très variable selon les espèces : elle peut être de trois ou quatre ans pour certains passereaux à plus de 50 ans pour les albatros et les puffins, dépassant 60 ans pour les grandes espèces d’albatros.
Références :
Patterns of aging in the long-lived wandering albatross. Vincent Julien Lecomte, Gabriele Sorci, Stéphane Cornet, Audrey Jaeger, Bruno Faivre, Emilie Arnoux, Maria Gaillard, Colette Trouvé, Dominique Besson, Olivier Chastel, and Henri Weimerskirch. Proc Natl Acad Sci USA, En ligne sur le site de la revue au cours de la semaine du 22 mars 2010.
Source: CNRS
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