Une étude menée en Côte d’Ivoire révèle que les singes d’une espèce de forestière baptisée la « mone de Campbell » émettent six types de cris d’alarme différents. En combinant ces cris, ces primates forment de longues séquences vocales leur permettant de délivrer des messages liés à leur vie sociale ou à divers dangers dont la prédation. Ces résultats, obtenus par des chercheurs du laboratoire d’Ethologie animale et humaine (CNRS / Université Rennes 1), en collaboration avec les universités de St Andrews en Ecosse et de Cocody-Abidjan en Côte d’Ivoire, sont publiés sur le site des Proceedings of the National Academy of Sciences. Ils mettent en évidence la forme la plus complexe de proto-syntaxe découverte à ce jour chez une espèce non humaine.
Pendant deux ans, au sein de la station de recherche du « Taï Monkey Project » située dans le parc national de Taï en Côte d’Ivoire, des scientifiques ont étudié le comportement de primates de l’espèce mone de Campbell (ou Cercopithecus campbelli campbelli1). Ces singes forment des petits harems d’une dizaine d’individus, composés d’un mâle adulte, de plusieurs femelles adultes et de leurs descendants.
Les chercheurs du laboratoire d’Ethologie animale et humaine (CNRS / Université de Rennes 1), en collaboration avec un psychologue et un éthologue des universités de St Andrews en Ecosse et de Cocody-Abidjan en Côte d’Ivoire, se sont penchés sur les « cris forts » des mâles adultes qui ont un répertoire vocal très différent de celui des femelles. Les scientifiques ont observé la réponse vocale des mâles à diverses perturbations de l’environnement, notamment des rencontres avec leurs prédateurs naturels comme l’aigle et le léopard. Ils ont également réalisé des expériences de simulations visuelles (des léopards et des aigles empaillés) ou acoustiques (diffusion par haut-parleur du grognement du léopard et du hurlement de l’aigle) de présence de ces prédateurs.
Ces expériences ont montré que le mâle possède six types de cris d’alarme (Boom, Krak, Hok, Hok-oo, Krak-oo, Wak-oo) mais qu’il ne les émet que rarement de manière isolée, préférant former de longues séquences vocales de 25 cris successifs en moyenne (chacune de ces séquences étant constituées de 1 à 4 types de cris différents). De plus, la façon dont le mâle mone de Campbell combine ses cris lui permet de délivrer différents messages. En modifiant une séquence de cris ou l’ordre de succession des cris au sein d’une séquence, les messages varient, informant précisément sur la nature du danger (chute d’arbre, présence d’un prédateur), le type de prédateur (aigle, léopard), la modalité de détection du prédateur (acoustique, visuelle) mais aussi des événements sociaux non liés à la prédation (regroupement avant déplacement, rencontre en bordure de territoire avec un groupe de la même espèce).
Cette étude révèle des capacités de communications vocales très complexes chez cette espèce de singe à la fois par la gamme de messages transmis et par la technique utilisée pour encoder ces messages. La même équipe de chercheurs avait précédemment montré que le mâle utilisait un système de suffixe « oo » pour doubler la taille de son répertoire vocal (lui permettant par exemple de produire aussi bien Hok et Krak que Hok-oo et Krak-oo). Dans cette nouvelle étude, les éthologues montrent des règles de combinaisons sémantiques de cris. Par exemple, le mâle mone de Campbell peut ajouter un type de cri particulier à une séquence de cris déjà existante pour préciser ou modifier le message. Il est aussi capable de combiner deux séquences différentes porteuses de deux messages différents pour transmettre un troisième message.
Cette faculté à combiner des cris pourrait être apparue au cours de l’évolution pour compenser une flexibilité vocale limitée (les singes étant moins doués pour la flexibilité vocale que les oiseaux et les cétacés) et néanmoins trouver un moyen d’encoder de nouveaux messages. Cette étude révèle donc une forme de proto-syntaxe chez cette espèce forestière de singes qui, vivant dans un habitat où la visibilité est très limitée, n’ont par conséquent que le mode vocal pour communiquer. Cette étude ouvre le débat sur l’existence potentielle de précurseurs du langage humain dans la communication vocale animale.
Source : CNRS Alban Lemasson, Elsa Champion
Laisser un commentaire